Sabine Raynaud, discours du 3 janvier 2021
Sabine Raynaud, discours du 3 janvier 2021 Montpellier (© JPV)

[DISCOURS] de Sabine Raynaud, enseignante, syndicaliste et Gilets Jaunes RPPA lors de la commémoration pour Cédric Chouviat le 3 janvier 2021 à Montpellier.

Nous sommes ici pour rendre hommage à la mémoire de Cédric Chouviat, victime de la violence d’État, et pour apporter notre soutien à sa famille. Mais ce n’est pas tout : nous saluons aussi la mémoire de toutes les autres victimes dont celles de Mohamed Gabsi, Zineb Redouane, Steve Maia Caniço, qui eux aussi ont eu leurs vies fauchées par ces interventions policières mortelles que les donneurs d’ordre cherchent toujours à camoufler et dont ils veulent aujourd’hui s’assurer qu’aucune vidéo ne pourra les faire connaître.

C’est donc pour combattre l’escalade liberticide de ce gouvernement que nous sommes ici.

Peu de gens font confiance à Macron et ses alliés, même si le gouvernement a pu utiliser la crise du COVID pour faire passer un maximum de mesures et pas seulement au chapitre des libertés.

Le gouvernement veut faire passer rapidement deux textes qui se complètent : la loi sécurité globale et la loi dite « séparatisme ». Elles se rejoignent déjà sur un point : la diffusion des images de violence d’État devient un délit. Après le tollé provoqué par l’article 24 de la loi sécurité globale qui punissait « d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » la diffusion d’images des forces de l’ordre, dans un tour de passe-passe, le gouvernement le fait réapparaître sous une nouvelle forme dans l’article 18 de la loi « séparatisme » , qui punit de « cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende » la diffusion d’informations sur des agents publics. Quel est l’enjeu de cette criminalisation des images : renforcer l’impunité de tous ceux qui exécuteront les ordres pour réprimer ceux qui contestent, et réduire les contre-pouvoirs.
Voilà déjà un premier lien. Il y en a aussi un autre, que l’on trouve dans le préambule de la loi séparatisme, qui en présente la philosophie, c’est cette phrase « ce [projet de loi] est exigeant ; la République demande une adhésion de tous les citoyens qui en composent le corps ».

Non, les institutions de l’État que nous connaissons n’ont jamais exigé que tous les citoyens soient d’accord avec elles.

Heureusement, car si nous devions tous adhérer aux institutions, où serait la démocratie ? Que deviennent tous ceux qui souhaiteraient d’autres institutions ? Que deviennent les anarchistes qui ne veulent plus d’état ou les royalistes qui souhaitent le retour du comte de Paris ? Quelles punitions le gouvernement veut-il inventer pour contrôler leurs idées ? La République serait-elle devenue une religion civile ? La République n’exige qu’une chose : le respect des lois. Mais on peut les respecter par obligation, sans pour autant être d’accord. Personnellement, il y a plusieurs lois avec lesquelles je ne suis pas d’accord : la loi Blanquer pour commencer, mais également la loi Travail par exemple.

On voit ici un concentré du projet de Macron : créer les conditions pour que toute critique, toute opposition devienne illégale ou suspecte. Avec cette loi, nous devenons tous suspects de séparatisme. Voilà pourquoi ils veulent élargir le fichage : chaque individu étant une partie du corps de l’État, il doit montrer patte blanche devant la nécessité d’adhérer à l’État. Que deviennent les libertés d’opinion, de conscience et d’expression ? L’adhésion à la République est libre, aucune loi ne peut la forcer. Par contre, qui, à part Macron, son gouvernement et ses alliés bafouent régulièrement tous ses principes, ceux qui affirment que la République est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ? » Inégalités, injustices, arbitraires : ils sont en train de détruire toutes les conquêtes sociales. Cette loi séparatisme, c’est aussi la remise en cause de la liberté d’enseignement, de la liberté d’association, c’est la création du délit d’intention. Et ce ne serait pas dangereux ?

Les notables et les petits valets de Macron qui ont appelé à voter pour lui en 2017 aiment beaucoup mépriser les manifestants avec un argument qui révèle un certain manque de clairvoyance : les manifestants n’ont sans doute pas tous lu la loi qu’ils critiquent. « Ont-ils bien tout lu ? » demandent-ils du haut de leur prétention.

Ce à quoi l’immense majorité des manifestants répond : si tu crois qu’on t’a attendu pour comprendre la politique du gouvernement! Tu crois qu’on t’a attendu pour comprendre la situation dans laquelle est plongée la jeunesse, les salariés, les retraités et tous les recalés ? Tu crois qu’on a besoin de tes conseils quand on ne sait plus comment payer son loyer et qu’on en dort plus la nuit ? Car la question n’est pas de connaître les textes de loi de 1789 à nos jours sur le bout des doigts, Wikipédia le fait mieux que toi. La question est de comprendre que Macron est un danger immédiat pour nos acquis sociaux et pour nos libertés. Et ça, les Gilets Jaunes l’ont compris mieux que toi.

À ceux qui pensent que Macron est un bon démocrate et que le danger viendrait de 2022, nous devons leur rafraîchir la mémoire et leur donner une leçon d’histoire récente : cinq mains arrachées, 32 éborgnés, 325 blessés à la main, 10 000 gardes à vue, 3000 condamnations pénales, 400 condamnations à de la prison ferme. Voilà le bilan du grand démocrate Macron face à ceux à qui il demandait les suffrages quelques mois auparavant, tout sourire.

Et on viendra nous expliquer que les lois liberticides ne seraient un danger que si un candidat populiste vient au pouvoir en 2022 ? Quel cerveau naïf peut croire cette fable ? Pas nous, pas les Gilets Jaunes ! Les gilets jaunes font mieux que de lire des textes : ils ont affronté l’appareil d’État et sont allés titiller la moustache de la Macronie. Ils ont compris mieux que d’autres que la répression est toujours reliée à la question sociale, que le personnel politique d’un état a toujours tendance à le servir, et que cet État n’est pas neutre. Non, l’État ce n’est pas l’intérêt général, il est au service de l’ordre social du moment, et notre époque est dominée par le règne des sociétés financières, par les Black Rock, Axa, Nestlé,Vinci, par les milliardaires, par le système des banques et de privatisation de la dette publique, qui leur rapporte gros.

Ceux qui ont changé l’histoire, ce sont les Sans Culottes, les Communards, les Résistants. Tous n’avaient pas lu les lois, mais ils ont changé le cours des événements.

Comprendre les lois qui nous sont imposées c’est d’abord comprendre la mécanique sociale qui fait qu’une petite minorité s’enrichit et a continué à s’enrichir pendant la crise du COVID, qu’elle distribue la misère, alors qu’à l’autre bout de la chaîne, les non essentiels, ceux qui ne possèdent pas d’héritage, pas de parachutes dorés en cas de licenciements, ceux-là sont voués à la recherche de petits boulots sous-payés, à la précarité et à la pauvreté, car les emplois en CDI ou sous statut, ça ne se trouve pas en traversant la rue Monsieur Macron !

La banque de France annonce qu’en 2021, 350 000 emplois seront supprimés : comprendre la loi sécurité globale, c’est comprendre que la politique actuelle va augmenter le nombre de personnes qui n’auront plus rien à perdre, et que l’état se prépare à un nouvel épisode de révolte populaire.

Qui est le plus lucide, le plus avisé ? Le jeune désabusé qui choisit de ne pas voter ou le macro-compatible qui vit dans la tour d’ivoire de son petit confort urbain et qui croit que le summum de l’engagement est d’aller voter pour le candidat plébiscité par les médias, une fois tous les cinq ans, en se servant de l’extrême droite comme d’un épouvantail pour réaliser l’union nationale.

Les GJ et de nombreux citoyens ont commencé à balayer la vieille classe politique, mais il reste des débris accrochés à l’État. Pour les décrocher, tout le monde devra redescendre dans la rue.

Préparons donc ensemble la manifestation du 16 janvier à l’appel de la coordination nationale, et pour reprendre les termes de leur communiqué : « tant que ces lois ne seront pas abandonnées, nous combattrons sans relâche pour nos libertés. » On n’est pas prêt de lâcher : que personne ne compte sur notre fatigue, nous sommes survitaminés et surmotivés pour l’année 2021, qui sera l’année du crépuscule de Macron, de son monde, de ses laquais, des laquais de ses laquais et de toute cette clique qui se tient la main.

Dans ce combat pour la défense de nos libertés, nous devons tous nous unir, malgré les obstacles que nous surmonterons. Tous unis, que nous soyons syndicalistes attachés à la lutte de classe, citoyens qui veulent la démocratie, militants de la défense des libertés et des droits de l’homme, ou encore Gilets Jaunes, qui sont à l’intersection de tout cela. Nous sommes des millions, nous bâtissons ce pays, nous sommes sa vraie richesse, eux sont juste des gestionnaires avides d’une petite carrière. Nous reprendrons ce qu’ils nous ont volé, parce que c’est notre avenir et qu’il nous appartient.

Je vous remercie.
Sabine Raynaud

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