La Chine se présente comme une nation unie, voire uniforme, sous la direction du seul Parti communiste chinois, depuis un peu plus de 70 ans. Mais le pays est également composé de nombreuses minorités ethniques. Un exemple, la grande région du Xinjiang.

La Chine se nourrit d’un mythe, le mythe d’une longue continuité «nationale». Longtemps, les dirigeants chinois ont joué sur les mots et ont élaboré de subtiles constructions administratives qui souvent reposaient sur le versement de tributs au profit de chefs «barbares» (et non le contraire) ;  s’il le fallait, ils avaient recours à l’emploi des armes avec des succès d’ailleurs très divers. Mais si les empereurs se contentaient, finalement, de n’être que cérémonieusement reconnus comme centre de l’univers, ce n’est pas le cas des dirigeants communistes, de Mao à Xi, qui eux ne se satisfont pas du seul symbolisme pour définir l’unité nationale ; au contraire, depuis 1949, la Chine communiste a entrepris d’asseoir une réelle autorité et ce jusque dans les recoins les plus éloignés de ce pays devenu entre temps République populaire. La longue suite de tensions dues aux velléités d’indépendance de Taiwan et du Tibet, voire de Hong Kong, est le témoin le plus visible de cette unité contestée.

Le Xinjiang, zone de conflits

Ainsi, aux marches occidentales de la Chine, il y a le Xinjiang, la «nouvelle province», à l’histoire plus que compliquée. Peuplée de populations apparentées aux Turcs et aux Mongols, stratégiquement placée entre le «berceau chinois» à l’est et l’Inde et le monde arabe à l’ouest, la province connut une occupation militaire chinoise, dès le deuxième siècle avant notre ère. Le Xinjiang englobe le désert du Takla-Makan, la «Mer de la Mort»  – c’est tout dire –, et il est bordé par les hauts sommets du Pamir au sud et par ceux de l’Altaï au nord. C’est une région parsemée des vestiges de villes et de monastères comme à Gaochang, Jiaohe, Bezekilik, témoins des différents royaumes non chinois qui accueillirent et protégèrent, en leurs temps, les antiques colporteurs du Bouddhisme, du Nestorianisme, du Zoroastrianisme et bien sûr, plus tard de l’Islam.

En revanche, la région fut beaucoup moins ouverte, ni vraiment accueillante, envers cette idéologie communiste qui s’imposa pourtant à partir de 1949. Située au carrefour des peuples nomades, et des civilisations, le commerce était animé et les rivalités aiguës. L’ancienne capitale Kashgar en était le centre, le «Grand Jeu» de cette guerre en ombres chinoises (!) que se livrèrent les empires russes et britanniques au XIX siècle. Plus près de nous encore, le Xinjiang fut régit par divers «Seigneurs de la Guerre» avant d’être momentanément « stabilisé » par le Kuomintang de Chiang Kai-chek qui élimina, en 1933, avec l’aide appuyée de Staline, les communistes chinois, puis quatre ans plus tard une première rébellion islamique. C’est une région donc, où l’on ne se sent pas vraiment «chinois». À un point tel, que Beijing en est réduit à traiter ses habitants, les Uighurs, avec une attention toute particulière ! Comme au Tibet ; bien que les Uighurs ne ressentent aucune affinité avec cette autre région troublée, qu’elle a d’ailleurs en frontière, si ce n’est une vague solidarité contre la «lourde main du parti communiste».

La question rémanente des « minorités nationales »

Le Parti Communiste Chinois (PCC) a dès sa venue au pouvoir tenté de définir d’abord, cataloguer ensuite, contenir enfin les «minorités nationales». Le nombre de celles-ci s’est accru au fil des ans : de 39 en 1954 à 56 aujourd’hui (Han inclus. Les Hans constituent le peuple chinois « historique », issu de l’ancienne ethnie Huaxia.) ; l’idée était que tout ce monde devait se sentir heureux sous le grand chapiteau du parti et dans le grand sérail qu’est la Chine.

Mais comme le concept de «minorité nationale» laissait entrevoir trop de perspectives indépendantistes, on a retravaillé le concept pour le transformer en «minorité ethnique», cela fait moins dangereux, plus culture, moins politique. En fait, pour les petites minorités ultra-localisées – essentiellement les communautés montagnardes – cela avait un sens et relevait d’une gestion politique sensée. D’ailleurs, dès le début des années 80, lorsque la classe moyenne chinoise se découvrait croissante et fortunée, ces minorités aux costumes colorés, aux danses bien gaies, sont devenues sources d’attraction et de revenus.  Aujourd’hui, le tourisme dit «intérieur» [1] est en pleine expansion. Et les Chinois sont bons touristes, goulûment intéressés par les richesses culturelles et gastronomiques de leur grand pays, ils entrent littéralement dans la danse, sinon les danses, et la frontière ethnique s’est quelque peu effacée. On peut en effet voir des Chinois Hans métamorphosés en chamans non Hans, et pas forcément pour des raisons pécuniaires. Un parc d’attractions consacré à la minorité Naxi près de Lijiang par exemple est animé par une petite troupe de prime abord ethniquement diverse, et cela n’a l’air de poser problème à personne. Mais la formule a ses limites. Au Xinjiang, on apprécie moins la volonté de brassage et «d’appropriation culturelle» que Beijing (ou Pékin) a élaboré. À la place, pour réduire les mauvais esprits à défaut de les séduire, Pékin a institué un moyen de mainmise proprement ahurissant.

«Les Uighurs vivent dans des maisons, les Hans dans des appartements» dit notre traducteur. Effectivement, l’immeuble, ou plutôt le «compound» devant lequel on se trouve ressemble plus à un camp retranché, qu’une zone résidentielle. Sise une banlieue poussiéreuse de Kashgar, pour y pénétrer, il faut franchir un sas avec des gardes armés et casqués… les voitures entrantes y sont minutieusement contrôlées, fouillées… c’est une résidence où seuls vivent des Chinois Hans. Plus loin, la vieille ville de Kashgar, celle qui a vu passer quelques siècles d’histoire, est en passe d’être démolie pour faire place à des ruelles bien aseptisées et commerciales et de belles maisons pour les Uighurs fortunés… Hans d’un côté, Uighurs de l’autre… Mais s’il y a dans les faits une espèce d’apartheid ethnique, la faute n’est pas à Beijing – au contraire même, pour tenter de fusionner les peuples, les autorités chinoises encouragent les mariages inter-ethniques, mais si ceux-ci sont relativement communs dans le reste de la Chine, au Xinjiang, ils sont rares… la résistance venant bien du côté Uighur, le paramètre musulman y est pour quelque chose dans ce rejet, mais la raison principale est que les Uighurs (environ 45% de la population de la province contre 38% de Hans) rechignent à voir leur identité fondue dans la masse des «occupants» car l’esprit anti-chinois est bien présent. Et celui, ou celle, qui ose convoler en douces noces avec un(e) chinois(e) Han est voué(e) aux gémonies, voire banni(e) de sa communauté. Ce n’est pas nouveau, c’est même très ancien, c’est une région où l’on n’est pas à une tuerie près.

Multiplication d’attentats  islamistes

Le Xinjiang a ainsi connu plus de 200 attentats à la bombe entre 1987 et 1990. Derniers attentats en date : 16 policiers furent tués à Kashgar en août 2008, des émeutes en 2009 dans la capitale provinciale Urumqi firent officiellement 197 morts, plus de 50 personnes furent tuées lors de « manifestations » marquant la fin du ramadan en août 2014. Trois mois plus tôt, en mai 2014, 33 personnes furent tuées par des militants séparatistes apparemment affiliés au Parti islamiste du Turkestan, de tendance salafiste. Sinon de façon plus acharnée et à coups de couteau à Kunming, la capitale du Sichuan, et à Hotan dans le sud du Xinjiang cinq autres personnes furent pareillement assassinées en février 2017. La crainte de violences n’est donc pas infondée, et nul côté n’en a l’exclusivité. Cela a cependant conduit à des mesures extrêmes et à un bon serrage de vis. Depuis août 2016, la province est en effet sous la férule de Chen Quanguo, un proche du président Xi Jinping, qui fut jusqu’à cette date le «patron» (c’est-à-dire l’égal du secrétaire du CPP) du Tibet, où il a su y rétablir, par des moyens musclés, la «pax seres» [2]. On dit, par exemple, qu’aujourd’hui, tous les couteaux de cuisine et surtout ceux utilisés dans les restaurants doivent être enregistrés auprès de la police. Le numéro d’identité du propriétaire gravé sur la lame, comme ça, si d’aventure un «terroriste» s’en sert pour poignarder quelqu’un, on saura le retrouver très rapidement, de même les barbes trop longues sont interdites et aussi dit-on, le prénom «Mohammed» [3]. Partout dans le Xinjiang, les forces de sécurité veillent avec application… toutes les entrées et sorties des villes passent par des postes de contrôle policier, où chaque personne et chaque véhicule est passé au crible. On dit, dans les rues du Xinjiang, que ces structures ont été conçues, via une expertise israélienne, ce n’est pas impossible tant elles ressemblent à ce que l’on peut voir à Erez aux portes de Gaza, et en d’autres lieux du même genre… partout donc des caméras de surveillance, vérification d’identité avec empreintes digitales et scanner des iris à chaque déplacement … trois fouilles rien que pour accéder à un quai de gare ferroviaire, chaque foyer s’est vu attribuer un «gardien de quartier» qui sonne régulièrement à la porte pour voir si tout est en bon ordre. Dans toutes les rues sillonnent à longueur de journée des convois, sciemment effrayants, de véhicules des forces de l’ordre – sirènes hurlantes et lumières clignotantes [4] –, des postes de police ont été érigés quasiment tous les cent mètres, blocages de routes, et fermetures arbitraires, et à effet immédiat des marchés surviennent sans avertissement, des marchés où on va jusqu’à obliger des commerçants à endosser des habits policiers plus sans doute pour les «mouiller», ou en faire des otages que dans un véritable esprit de «loi et d’ordre». Dans certains endroits, on oblige les voitures à être équipées de détecteurs afin qu’on puisse les suivre et les surveiller par satellite [5]. Dans les quartiers des groupes d’autodéfense d’hommes et de femmes de Uighurs, officiellement anti séparatistes ont été constitués, on leur donne brassards et matraques et on leur ordonne de patrouiller dans les rues pour impressionner, semble-t-il… Mais à vrai dire… on ne sait trop qui… il est question d’impressionner… 1984 d’Orwell en version ultra-électronique, et tout cela coûte cher, sans doute très cher.

police chinoise

Police  chinoise : on recrute !

Oui, pour gérer tout cela, les policiers et agents divers doivent être nombreux, voire très nombreux : ainsi immédiatement après l’arrivée au pouvoir provincial de Chen, les autorités ont annoncé le recrutement de quelque 84 000 agents de sécurité rien que pour le Xinjiang. Soit 50% de plus que le total recruté ces dix dernières années [6] avec des salaires plus que généreux : l’équivalent de 700€ / mois, nourri et logé en plus, contre une moyenne locale de 585€ / mois. Et ça, ce n’est que pour le recrutement à ciel ouvert… Comme donc dans la vieille Chine antique, lorsque le «Fils du Ciel» et ses eunuques soudoyaient les «barbares» extra-muros,  Beijing – ou plus exactement le contribuable chinois – finance le bien-être des Uighurs. Nul doute qu’il s’agit là d’une manne financière pour beaucoup d’Uighurs qu’on voit en uniforme chinois, inspectant les coffres des voitures, vérifiant les papiers d’identité, maniant des scanneurs de bagages…  car le chômage, une des plaintes récurrentes des Uighurs, naguère très élevé, est actuellement retombé à presque 2% de la population active urbaine, soit à peu près le même taux que dans le reste du pays bien qu’il faille noter que la statistique ne fait pas la différence entre les Uighurs et les autres ethnies. De même les revenus par habitant sont aussi en nette hausse, bien qu’encore une fois il semblerait que les Hans en profitent un peu plus que les autres [7]. Il faut dire que le Xinjiang est une région clef pour l’économie chinoise, en plus du coton, la province regorge de charbon, de gaz naturel et de pétrole et elle assure une large part de l’alimentation en produits énergétiques nécessaires à la croissance du pays. Mais on n’oublie pas les Uighurs pour autant : partout des portraits de Xi Jinping donnant l’accolade à des imams, histoire de montrer que… et, à défaut de pétrole sans doute, Beijing cherche à promouvoir, pour le bien-être des locaux (sous-entendu Uighurs), la culture de l’eau de rose [8] et ceux-ci s’engagent à s’auto-surveiller et à s’auto-dénoncer, car il faut aussi dire que la culture Uighur est clanique et l’unité entre les clans a rarement été de mise.


[1] Le tourisme «domestique» en Chine est un secteur économique en plein boom et a récolté quelque 720 milliards (oui, milliards) de dollars en 2017 (source China Daily du 05.03.2018). Incluant les visiteurs de Hong Kong, Macau et Taiwan qui à eux seuls comptent pour près de 60% de ces touristes, mais bien sûr, Beijing les inscrit sous le chapeau de «tourisme domestique».

[2] « Paix chinoise » ?

[3] The Economist du 04.05.2017

[4] Cette visite au Xinjiang avait été effectuée en octobre 2017 au moment de la tenue du XIXe congrès du CPP, il est possible que la sécurité dissuasive eût été renforcée pour l’occasion.

[5] The Economist du 04.05.2017

[6] South China Morning Post du 12.08.2017

[7] Dépêche Reuters du 6.05.2014

[8] China Daily du 08.06.2018

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