CAP 2022, loi LCAP (Liberté de Création, Architecture et Patrimoine). Des choix politiques qui interrogent sur la place faite à la culture au sein du gouvernement d’Emmanuel Macron.

Les ministres passent, les revendications restent, les lois passent. Trois ans de réflexions, LCPA une loi portée par trois ministres successifs, Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin et Audrey Azoulay, votée en juillet 2016.

Liberté et modernisation de la protection du patrimoine culturel, des mots doux, pour une libéralisation annoncée. Avec les manifestations et grèves des intermittents qui dans la dernière décennie ont secoué les festivals, les politiques savent que la culture, « ça rapporte ». Une équation financière profitable. Ainsi aucune annonce n’a été faite, avant les festivals de l’été, sur les coupes franches qui pourraient avoir lieu dans la rémunération des précaires, et des intermittents en ce qui concerne les droits au chômage, ni sur la feuille de route du gouvernement pour faire des économies dans tous les ministères. Cap 2022 : Comité d’Action Publique 2022 mis en place le 13 octobre 2017. Cela ressemblerait dit-on à un vaste plan de réduction des dépenses publiques moins 10.000 Mds € et moins 50.000 emplois d’ici 2022. Une loi qui pourrait avec son orientation essentiellement libérale avoir raté le rendez-vous d’un vrai service public de la Culture.

Appauvrissement de la diversité culturelle

Ministère de la Culture, selon un rapport d’experts courant 2018, « il y a une bombe à chaque ligne ». Les directives citées dans ce document pourraient vraisemblablement conduire à un appauvrissement de la diversité culturelle, à l’uniformisation des projets aidés. Des conséquences bien plus inquiétantes sont pressenties concernant ce ministère qui tend à devenir une « coquille vide ». On se rapprocherait avec ce gouvernement d’une vision rentable de la culture, la tendance actuelle est au sponsoring et au mécénat privé : danger possible d’une vision étriquée et intéressée de la culture.

Des directives qui vont avoir des répercussions tant au niveau national qu’au niveau local. La culture populaire, au sens où l’entendait Vilar, est un choix politique. Il faut savoir : si nous sommes pour cette culture qui ne rentre pas dans une logique de rentabilité immédiate, ou si nous voulons d’une « culture divertissement » qui annihile tout esprit critique et va dans le sens du démantèlement des services publics ?

Entretien avec Pierre Peyras, musicien, élu SFA (syndicat français des artistes interprètes), du FNSAC fédération nationale des syndicats du spectacle, du cinéma, de l’audiovisuel et de l’action culturelle.

Pourriez- vous nous parler plus précisément de votre régime spécifique d’assurance chômage, de ce que l’on appelle l’intermittence, où en sont les accords ?

Il est important de préciser ce qu’est l’intermittence. Ce n’est ni un métier ni un statut, c’est un régime spécifique d’assurance chômage pour les personnes travaillant dans le secteur de l’audiovisuel et du spectacle vivant. Les annexes 8 et 10 sont simplement des annexes au règlement de l’Unedic qui fixent des règles spécifiques pour les intermittents. Et l’accord entre syndicats d’employeurs et syndicats de salariés du secteur de janvier 2019, qui n’a pas été pris en compte par le gouvernement concernait le maintien des annexes 8 et 10. En deux mots, la prestation salariale d’un artiste ne se réduit pas au temps qu’il passe sur scène. Il y a tout le travail en amont qui n’est pas rémunéré. Quand vous travaillez pour une entreprise sur un autre secteur que le nôtre, vous êtes rémunérés pour votre travail (enfin aujourd’hui cela est discutable… !) Mais pour un artiste, il se trouve que tout le travail de préparation, écriture et conception n’est pas rémunéré. Ce n’est rémunéré qu’au moment où vous faites la prestation. C’est aussi la même chose pour les journalistes, d’ailleurs au syndicat de la fédération du spectacle, il y a des journalistes-pigistes.

Aujourd’hui, votre régime d’assurance chômage est en train d’être attaqué. Pourriez-vous nous en dire plus sur la situation, sur les négociations et accords ?

Alors, comme cela a été mentionné tout à l’heure, rien n’a encore été officiellement annoncé à l’approche des festivals, mais nous pressentons de sérieuses coupes franches dans la rémunération des précaires et des intermittents en ce qui concerne les droits au chômage. Jusqu’à présent tous les ministres ont été prudents, sauf que ce régime avait déjà été attaqué avant. Nous sommes revenus sur l’accord UNEDIC de 2016 avec un avenant en janvier 2019 concernant les 507 heures pour accéder à l’indemnisation chômage, et sur le temps imparti pour faire « ces heures ». C’est revenu sur une année alors qu’avant c’était dix mois et demi, pour les artistes. Ça a permis à plus de personnes d’obtenir cette indemnisation. Mais il y a encore des détails à régler, concernant les carences par exemple qui n’ont pas été tout à fait réglées depuis par cet accord du 21 janvier 2019. Je me dois de vous parler de la FESAC- la Fédération des Entrepreneurs du Spectacle et de l’Action Culturelle.

L’accord a été fait avec tous les syndicats du spectacle ; du côté des salariés et du côté des employeurs, et cet accord-là, a été mis sur la table du MEDEF lors de la négociation UNEDIC, qui, il ne faut pas l’oublier a été imposée par le gouvernement alors que ce n’était pas le moment. Normalement, c’est tous les trois ans. Cette « négociation » a été imposée par notre président et sans discussion possible. J’imagine que vous avez entendu parler de la disparition sur votre bulletin de salaire des cotisations sociales concernant l’UNEDIC. Par ce biais-là, le gouvernement a mis un pied dans la porte et remplace les cotisations sociales volontaires qui sont en fait des salaires différés, par l’impôt.

Alors dans le spectacle, ce n’est pas tout à fait le cas, parce qu’il reste encore des cotisations ASSEDIC dans nos bulletins de salaire, cela a été négocié à ce moment-là (2019). Ce que le gouvernement amorce en revanche, c’est que tous les chômeurs quels qu’ils soient vont voir leurs indemnisations diminuer, ça va descendre d’une certaine somme, ce qui fera environ 1400 euros en moins par personne et par an. Ils ont baissé les plafonds d’indemnisation.

Mais pour revenir au régime de l’intermittence, je souhaiterais exprimer le fait que ce régime est à la fois très bon, et très pervers. Ceux qui en ont profité le plus, ce sont les producteurs comme Endémol, Canal plus, France Télévision, Radio France, etc. Et une multitude d’entreprises du spectacle et de l’audiovisuel. Cela fait des années qu’ils vivent là-dessus. Ils ont pu employer des intermittents de manière exponentielle et sur des postes qui ne requièrent pas la spécificité de ce régime.

Grâce au CDDU : contrat à durée déterminée d’usage, ils peuvent employer à «  tire-larigot » en CDD sans jamais passer au CDI. Alors que dans les conventions collectives ils sont obligés de passer en CDI au bout d’un certain nombre de CDD, en théorie, car en pratique ce n’est pas souvent le cas.

Quels sont vos pressentiments concernant le ministère de la Culture ?

Ce que nous pressentons (les syndicats), c’est que le ministère de la Culture n’en a pas pour longtemps, il se vide, les personnes qui étaient aux postes clés sont placardisées ou des missions de moindre importance leur sont confiées. Et quelques signes laissent penser qu’il pourrait y avoir un ministère unique de l’enseignement et de la culture.

Ça a presque existé avec Jean Zay au gouvernement du Front populaire, il y avait un ministère qui s’appelait : ministère de l’Éducation et des beaux-arts. Sauf qu’à l’époque les beaux-arts étaient considérés. Alors que là, ils veulent lier l’enseignement d’une autre manière : l’artiste serait un prestataire de service éventuel pour former les enseignants, car ils ne sont pas formés à ça. Ils ne seraient donc plus tout à fait considérés comme «  artiste ». Et il faut inclure dans ces transformations, le patrimoine, le tourisme et le divertissement… !

Que contient cette loi LCAP, relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine ? Et quelles sont les directives présentes dans le texte du CAP 2022 ?

C’est une loi relative à la liberté de création qui est passée le 7 juillet 2016 au moment où nous avions Audrey Azoulay comme ministre de la Culture, et François Hollande président, et rien que le terme de loi relative à la liberté de création peut interroger !

Certains passages concernant le mécénat et le rapport amateurs et professionnels sont inquiétants, car ils peuvent aboutir à l’emploi d’amateurs, formés par des professionnels qui disparaîtront après, sans rémunération, et dans une possible exploitation notamment sur des événements de type divertissement avec billetterie. Or ceci n’est censé être possible que sous une certaine forme, et quand il n’y a pas de billetterie.

Mais il y a une nouvelle loi qui est passée également, il y a deux ou trois mois, c’est la « Liberté de choisir son avenir professionnel » celle-ci concerne principalement la formation, et elle n’est pas mal non plus !

Il se trouve qu’il y a aussi « politiquement » un sujet terrible, c’est le regroupement des branches. Au niveau du ministère, il y avait plusieurs branches au niveau des conventions collectives, et ce sujet intéresse à la fois la politique et le syndicalisme. C’est-à-dire qu’il y a des Négociations Annuelles Obligatoires, les NAO, qui sont passées bisannuelles. Et dans chaque entreprise, chaque année, il y a une négociation entre les représentants syndicaux et la direction, où beaucoup de thèmes sont abordés concernant les conditions de travail, les salaires : ce sont les NAO. Et le problème, c’est qu’il y avait autant de branches que de professions, et là il y a une volonté de regroupement total, ce qui va faire que, par exemple les artistes risquent de se retrouver dans une branche communication. Seulement dans la branche communication, il y a Bouygues et France Télécom. En mettant tout dans le même «  panier », il y a un risque que les conventions collectives tombent les unes après les autres, et il n’y aura que peu de place pour la voix des syndicats.

Pour ce qui est des directives du CAP 2022 concernant la culture, il y a une volonté de casser le service public de la culture et de glisser vers une politique de l’offre. Le projet décrit comment réformer les aides à la création des équipes artistiques du spectacle vivant, au détriment des projets les plus fragiles et de la diversité culturelle, comment revoir les missions des lieux labellisés et subventionnés et comment infliger une nouvelle cure d’austérité à l’audiovisuel public (fermeture d’antennes, licenciements) et de quelle manière ils vont recentrer les aides au cinéma vers les « champions du box-office ».

Et quelles conséquences de tout ça au niveau régional ? Peut-on encore parler de décentralisation ?

Pour ce qui concerne la décentralisation et l’avenir du spectacle vivant, la question du financement se pose en profondeur. Nous avons abordé le fait que le ministère de la Culture est en train de se vider, et il se trouve que les DRAC Direction Régionale des Affaires Culturelles dépendent du ministère. Les directeurs ou directrices d’une DRAC régionale sont des énarques formés à la culture. Et là où ça va rejaillir localement, c’est sur la gestion des budgets qui vont être réduits et des missions qui seront complexes, si la suppression de plusieurs centaines de postes d’agents du ministère et des collectivités est effective. Les missions des DRAC seront en danger du fait de ces suppressions. Ces personnes travaillent en partie sur l’octroi de subventions. Elles gèrent le patrimoine, l’architecture, le spectacle vivant, le spectacle enregistré, l’audiovisuel et les arts plastiques, et bien d’autres secteurs encore. Donc les économies souhaitées par le gouvernement vont avoir effectivement un impact important au niveau régional que ce soit au niveau des salariés ou du subventionnement. Et dans la même logique les artistes et techniciens en seront impactés également. Notamment les plus petites structures, ce qui va poser un problème de maillage culturel sur le long terme, et un problème d’égalité d’accès à la culture surtout en milieu rural. D’ailleurs il y a une déprofessionnalisation qui s’opère, car dans les campagnes, en particulier, les programmations d’artistes professionnels sont souvent remplacées par des spectacles amateurs qui sont moins chers, voire gratuits, et qui sont plus de l’ordre du divertissement que de la culture. Les petites communes n’ayant pas de gros budgets dédiés à celle-ci font des choix qui « remplissent » leurs saisons au détriment parfois de la qualité artistique et du professionnalisme. Bien que dans le Gard, par exemple, le département et quelques collectifs d’artistes, et d’acteurs culturels tentent des actions, et imaginent des projets afin de contrer cette problématique qui pourrait prendre de l’ampleur si nous ne sommes pas vigilants concernant les « choix » de ce gouvernement.

Mais il y a une autre problématique à soulever concernant l’idée de décentralisation. La région Occitanie par exemple devient une région de tournages pour des séries ou films sur Sète, et Montpellier. La région participe financièrement pour ces tournages. Mais il y a un problème interne sur lequel les syndicats vont tenter de les alerter. Ce sont les retombées sur l’emploi local qui sont à surveiller. Il y a peut-être une volonté de décentraliser, mais tout cela est Jacobin ! Car les producteurs sont la plupart du temps parisiens, les équipes au plateau trouvent à peu près un équilibre avec les techniciens, mais il y a une majorité de Parisiens là aussi, et concernant les acteurs, c’est plutôt catastrophique. Les têtes d’affiche sont parisiennes, et ce qu’il reste aux acteurs locaux, c’est souvent la figuration, et quelques petits rôles. On pourrait croire que certains considèrent que les équipes provinciales d’artistes et de techniciens sont moins compétentes, car ils ne sont pas dans le cercle de l’intelligentsia de la capitale, et moins « bankable » pour ce qui est des acteurs. Dans tous les cas, les retombées sur l’emploi local ne sont pas ce qu’on pourrait en attendre au vu de la participation régionale. « L’effet décentralisation » ne fonctionne pas totalement de ce côté-là. Il y a bien d’autres exemples localement qui mettent en lumière ce dysfonctionnement. À Nîmes, nous pourrions parler des Arènes, de la Tour Magne qui sont gérées par Culture-Espace depuis Paris.

Y aurait –il une confusion volontaire ou pas entre les notions de culture et de divertissement ?

La tendance générale converge vers une culture soumise à la loi du marché, ce qui implique qu’elle s’apparente aujourd’hui dans la volonté politique à cette notion de divertissement. «  Du pain et des jeux », le divertissement rapporte infiniment plus, et n’éveille pas les esprits, il les distrait, les amuse. Cette différence de sens entre la distraction et l’éveil est fondamentale, c’est aussi un outil de contrôle pour les dirigeants. Je vais reprendre le cas de la ville de Nîmes, dont la politique culturelle est assez orientée sur le divertissement. Les grands jeux romains, l’accueil « de la chanson de l’année », les festivités autour de la tauromachie sont des événements qui relèvent plutôt du divertissement. Et bien que cette commune soit dotée de théâtres, de musées et de salles de concert, les initiatives culturelles qui créent la diversité sont peu soutenues, et encouragées par la mairie. « La culture » est posée en vitrine divertissante, mais sur le fond il n’y a pas la volonté d’élaboration d’une culture «  élitaire pour tous ». Et l’accès aux quelques espaces culturels est particulièrement difficile pour les personnes ayant peu de moyens financiers, ou qui sont éloignés géographiquement de ces lieux. Le danger là-dedans, c’est qu’au-delà du sort des artistes qui est catastrophique, nous sommes dans une problématique de diversité, d’éducation populaire et d’inégalités d’accès à la culture. La ghettoïsation par le biais de l’argent crée une fracture sociale grandissante. Il y a une réelle volonté de la part des « hautes sphères » de passer de la culture au divertissement.

Je terminerai en citant ces quelques phrases de Jean-Louis Hourdin et François Chattot : « il nous faut des femmes et des hommes dressés dans la catastrophe, dignes et porteurs de pensées, porteurs de sensualité de la pensée, dans « l’énergie du sens », en garde rapprochée de la poétique, du politique et du partage »

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