« Schadenfreude » : « prendre plaisir du malheur des autres », une belle expression allemande qui peut cependant se décliner dans toutes les langues… Une fois n’est pas coutume, le « schadenfreude » de la presse anglo-saxonne vis-à-vis des difficultés françaises, n’a pas cours…
Habituellement côté britannique, lors de désordres : pensez manifestations contre la Loi du Travail, et autres activités urbaines du même gabarit, la terre de France est souvent vue comme terre de désordre par définition. La presse anglo-saxonne se délecte de voir le voisin « latin » s’enfoncer dans des grèves perpétuelles. On aurait pu croire que les épisodes à répétition des « Gilets Jaunes » auraient ainsi eu à divertir… Mais non, cette fois-ci ce n’est pas le cas : des « Gilets Jaunes » la presse britannique en parle bien sûr, mais moins que le « punch » qui a été affligé à Twickenham, lors du « crunch » annuel, à une bien triste équipe de France.
L’accent sur la violence policière
Sur le « phénomène » des « Gilets Jaunes », si la presse britannique dans son ensemble a bien relevé les causes économiques et sociales du mécontentement qui agite les rues et les ronds-points de France, elle met l’accent sur la violence policière qui les accompagne. On a du mal à comprendre l’utilisation des LDB40 et autres « flashballs » ; c’est une violence, que l’on pourrait dire, bien inscrite dans les gènes français, depuis 68 et même avant, car des manifestations houleuses il y en a un peu partout en Europe et même au Royaume-Uni. Il y a des mécontents et des laissés-pour-compte partout, mais il n’y a qu’en France où tout dégénère comme ça.
Un lecteur du très populaire The Sun (pro-Brexit) dont la verve plumitive déborde souvent dans le populisme douteux évoque les Français « comme des dindons qui souhaitent la bienvenue aux fêtes de Noël » tant que la France aime à montrer sa prédilection pour les « grands soirs » ; il est vrai que The Sun préfère guigner et raconter le mariage Trogneux (nom de famille de Brigitte Macron) ; de ce côté-là effectivement, il y a à dire, et c’est tellement French, les « petites femmes » et tout ça…
Macron remonte la pente
À l’autre bout du spectre, il y a le très respecté Financial Times, journal tout d’abord du monde des affaires, mais comme sa consœur de niche The Economist, capable d’analyses tout à fait sensées du point de vue social. Le « FT », comme on le désigne familièrement, se félicite ainsi : malgré tous les cadeaux fiscaux (« giveaways ») faits par Emmanuel Macron pressé par les « Gilets Jaunes » – onze milliards d’euros, et le léger glissement du taux de croissance hexagonal à la baisse qui en résulte – l’économie française tient la route et Macron remonte la pente. Il faut dire que le « FT » ,tout comme The Economist sont résolument « europhiles » et anti-Brexit. Ils font le vœu qu’une France économiquement sagace maintienne un pôle efficace sur le Continent… Le « FT » trouve cependant la crispation entre la France et l’Italie totalement « futile » et s’en inquiète.
Le regard « British » sur la France
En effet, pour apprécier le regard « British » sur la France, il faut regarder les côtes de la Manche à travers le filtre produit par le référendum du mois de juin 2016. Hormis les Brexiters, les Britanniques savent qu’ils n’ont rien à gagner d’un délabrement européen, ou français. Il faudra peut-être se raccrocher un jour à cette masse de terre qui se trouve, pour le meilleur, ou le pire obstinément en face de notre île.
Ainsi, même dans la presse de gauche libérale, dans des journaux comme The Guardian ou The Independant, Macron n’a pas la mauvaise image qu’il a en France. On salue sa hardiesse, voire son courage de retrousser ses manches, et d’aller à la rencontre de son peuple et d’entamer le dialogue. Macron n’a en effet pas outre-Manche tout perdu de son image de « jeune Kennedy ». Avec un regard un tantinet plus large, The Guardian conseille vivement à ses lecteurs de faire leurs achats de vin français (et non italiens !) avant le 29 mars prochain. On a les priorités bien établies !
« Yellow Vests », manifestations londoniennes à l’heure française
D’une certaine façon, on a aussi l’impression que The Guardian met plus l’accent sur le fait que l’Europe – qu’on aime bien malgré tout – est vulnérable à l’infiltration d’extrême-droite chez les « Gilets Jaunes », car quand un certain Steve Bannon anti-européen s’il en est, se met à vanter la mouvance contestataire en France. Il y a lieu effectivement de se poser certaines questions. Mais la plupart du temps, la presse britannique s’efforce d’expliquer le mouvement « Gilets Jaunes » à ses lecteurs, c’est déjà beaucoup. Ça prend beaucoup de temps, beaucoup de colonnes, et ça a eu un certain effet. Mi-janvier deux manifestations londoniennes étaient à l’heure française, c’est-à-dire « Yellow Vests » : l’une contre la politique d’austérité (de gauche), l’autre contre les anti-Brexit (de droite, voire encore plus à droite). La France fait donc encore école, chez ses meilleurs ennemis…
Les Britanniques ont toujours eu en effet un regard quelque peu ambigu envers la terre pas tout à fait natale de Napoléon Bonaparte. Car, finalement, en dehors du rugby, il n’y a eu que deux siècles de guerres continues entre les deux pays… Autrement, la langue anglaise tient pour à peu près pour moitié du français (ce qui a pu amuser les lecteurs du Guardian qui a mis en titre un événement terriblement infamant, mais ignoré de la presse française – du moins à ma connaissance – survenu lors du Salon du Livre tenu récemment à Paris, où des éditeurs français n’ont pas hésité à utiliser des expressions anglophones comme « Le Live » ou « photobooth » et autres « bookquizz »…) Et autant la bourgeoisie « british » ainsi qu’une certaine classe ouvrière se prévalent encore, à des niveaux différents, d’avoir acquis une certaine culture française, entre Proust, les peintres impressionnistes, le fromage et le bon vin… C’est vrai que chez ces gens-là on risque de trouver le Brexit dur à avaler, et en général, ils en sont conscients… Mais on n’en est pas encore à plaindre les Français, qui eux, seront en contrepartie privés de « baked beans » !
Et puis, on ne l’oublie pas… Enfin ! on ne l’oublie pas : là-bas outre-Manche, que l’on a dû vous venir en aide à deux reprises contre les Allemands, car, il faut le dire, la première fois où la France s’est « brouillée grave », toute seule avec son voisin germanique en 1870, le résultat ne fut pas glorieux pour les armes françaises. Il vous est alors apparu clairement que les Français avaient grand besoin de ces insulaires énervants.
Blague à part, si c’en est une, l’engagement britannique pendant les deux guerres mondiales a été beaucoup plus un argument contre le Brexit que le contraire ; on aurait pu croire que le souvenir de ces « aventures » européennes aurait stimulé un sentiment opposé, mais non ! les expressions du genre « on s’est battus et sacrifiés pour la paix en Europe » ont été beaucoup plus audibles chez les anti-Brexit que chez les autres… les plages de Normandie auraient ainsi scellé un lien qui, pour des raisons diverses, sont en train de se distendre.
Plus que se distendre, on peut croire que le rapport France – Royaume-Uni se renverse quelque peu. Enfin, dans une certaine mesure : le nombre de demandes de naturalisation a décuplé depuis 2015. Entre 150 000 et 200 000 Britanniques vivent actuellement en France et nombre d’entre eux, comme l’auteur de ces lignes, sont devenus français – Brexit oblige ! Juste renversement des situations passées ? La France serait-elle devenue notre terre de refuge à nous autres Britanniques pro-européens. ? Damned ! Non rassurez-vous, chez les purs et durs des Britanniques anti-Brexit vivants en France, aimant la France et parlant même (un peu ?) le Français, ils se refusent à franchir ce pas catégorique, de prendre cette voie de non-retour « culturelle »… pour faire grâce à la France, de ne pas accentuer ses malheurs présents « ce n’est pas parce que mon pays a fait une « connerie » que la France doit payer la note » indique l’un d’eux dans les colonnes du « The Local » un journal pour les résidents anglophones en France.