Le Royal Occupé a marqué nombre de montpelliérains : lieu culturel sans pareil dans la région, ouvert au public et investi à l’époque par un collectif « de travailleurs pauvres, d’étudiants et de précaires » après la fermeture du cinéma Le Royal en 2014. Les occupants du Royal ont été évacués le 11 mai 2017.
Retour sur cette expérience avec « Manu » et « Gaël ».
lemouvement.info – Comment débute l’occupation du Royal ?
Gaël – L’occupation du Royal, c’est parti par le mouvement étudiant, très impliqué dans Nuit Debout. En plus d’avoir beaucoup d’étudiants dans Nuit Debout, il y avait aussi des gens qui étaient en galère de logement avec la vocation d’en faire un lieu de convergence ou au moins pour pouvoir s’organiser. Un peu, un lieu qui pourrait servir à tout sans vraiment de grandes idées à la base. C’était vraiment dans un but technico-pratique.
lemouvement.info – Ça s’est passé comment en pratique ? Le Royal était à l’abandon ? Comment en êtes-vous venu à son occupation ?
Gaël – Un beau jour, il y a quelqu’un qui s’est dit … faudrait aller voir quand même. Étant donné que c’est fermé … un grand bâtiment comme ça c’est symbolique. Il faut aller voir. Quand on est allé voir, on a vu que c’était complétement ouvert, qu’il n’y avait pas de rang de sécurité, que c’était à l’abandon. Du coup, il y a eu une bonne petite équipe qui est rentrée à l’intérieur et qui a commencé à vivre à l’intérieur, à nettoyer, à essayer de faire que ce soit vivable. Et c’est pendant toute cette vie collective, qui a commencé à s’installer, que des idées ont commencé à émerger.
Manu – On peut quand même dire que le mouvement squat c’est un mouvement qui existe depuis plus de 30 ans, qui est assez dense, présent dans toutes les villes de France. Et qu’en fait, un lieu comme ça en plein centre-ville, très grand, en plus avec des salles de cinéma, donc facilement travaillable… Il y a pleins de gens qui ont squatté dans leurs vies qui sont passés devant cet endroit et qui se sont dit il faut y faire quelque chose. Le fait est que c’est une équipe de gens qui était plutôt des étudiants au départ qui ont ouvert ce lieu.
lemouvement.info – Vous êtes vous-mêmes étudiants, travailleurs ?
Manu – Pour ma part, je suis précaire. Je suis sans domicile depuis 5 ans maintenant et je travaille principalement en intérim. Je n’ai pas accès au parc locatif, parce que je n’ai pas de garant, parce que j’ai pas de contrat de travail qui me permette d’amener les papiers qu’on demande pour une location. C’est le squat ou la rue.
Gaël – Pour ma part, j’ai déjà travaillé, j’ai déjà eu une vie insérée. Ça a toujours été « en moi » d’essayer de faire bouger les choses à n’importe quel niveau. C’est venu de soi pour moi.
lemouvement.info – Comment a été la réaction des autorités concernant l’occupation du Royal ?
Manu – Dans la vie d’un squat, il y a toujours un moment où arrive l’huissier puis la convocation, le jugement, le délibéré qui fixe une date d’expulsion probable, minimale on va dire et après on attend l’expulsion. Ça, c’est la vie de n’importe quel squat. Là, il s’est passé quelque chose d’un peu particulier, c’était un centre culturel. Il y a eu près de 200 événements. Il y a eu des semaines, où il y a eu plusieurs milliers de personnes qui passaient dans le lieu et on n’a jamais caché ni nos orientations politiques, ni nos divergences de vues avec la mairie et sa manière de faire. La pression policière, elle, a toujours existé autour. Il n’y a pas eu une soirée au Royal où la police ne passait pas devant à plusieurs reprises à petite vitesse. De très nombreux habitants du Royal ont été inquiétés par la justice, pas directement à la sortie du Royal, mais pour leur implication dans le mouvement social. Cette pression, elle a été constante, avec cette apothéose ridicule où il y a 150 CRS et le RAID pour expulser une bande d’étudiants. En fait, nous, on n’a pas été surpris. L’ampleur a vraiment été incroyable, mais on savait que ça allait être radical.
Gaël – On n’a pas été surpris parce que c’était quand même des étudiants issus des mouvements sociaux. Et que ce soit avec Saurel (Maire de Montpellier) ou avec la police en général, il y avait déjà des problèmes avant même la naissance du Royal.
lemouvement.info – Vous avez dit que c’était un lieu culturel, vous pouvez expliquer ?
Manu – Il y a eu vraiment de tout. D’abord des projections, bien sûr, car on avait le bâtiment qui correspond. Il y a eu des concerts, des concerts acoustiques, des sound systems, des conférences plus ou moins politiques, plus ou moins sur le sujet du nucléaire, des monnaies locales. Tout un tas d’interventions publiques. Il y a eu des réunions publiques de Nuit Debout, d’organisations féministes de Montpellier. Beaucoup de mises à disposition pour des répétitions de théâtre, de musique, de danse, des résidences de création et puis il y a eu aussi des ateliers et des cours de théâtre, de musique, de français, d’anglais. Il y avait un appartement dans lequel on vivait, puis le reste du cinéma. Un lieu aussi grand, on ne l’occupe pas et on ne le fait pas vivre avec une bande de 20 à 30 personnes, ça appelle à être partagé, à être mis à disposition à être ouvert et utilisé par le plus de monde possible et ça correspond aussi à notre projet politique.
lemouvement.info – Vous avez parlé de projet politique, vous êtes, vous-mêmes, affiliés à des mouvements politiques ?
Gaël – Pour ma part, je suis affilié à pleins de mouvements politiques. Le terme affilié ne me va pas du tout. C’est plus une navigation entre plusieurs mouvements politiques. Cela va sans dire, que le système actuel nous déplaît. À notre mesure, on essaye de trouver un moyen de changer les choses. Et pour nous changer les choses, ça passe par le fait, par les actes et apporter des choses aux gens. C’est pour ça que Le Royal s’est toujours voulu ouvert, libre avec pas de prix d’entrée, avec aucun prix d’affichés. C’est aussi pour ça que ça devenait politique : fournir gratuitement de la culture c’est politique. C’est ce que l’État a de plus en plus de mal à faire : proposer un large panel d’activités culturelles gratuitement pour les plus défavorisés.
Manu – Moi, je n’ai pas d’affiliation, j’ai une sensibilité politique. Pour moi, c’est l’autonomie, c’est juste un moment où il faut se demander : qu’est-ce que moi je peux faire, ce que moi je fais pour que les choses soient un peu différentes. C’est un peu prétentieux, mais en tout cas, essayer de montrer que l’on peut faire autrement, avec plus ou moins de succès, avec plus ou moins de difficultés. Pour moi, il y a un truc très spécifique dans le squat, dans l’occupation, dans la réquisition, on appelle ça comme on veut : c’est que c’est des pauvres qui s’organisent entre pauvres et qui ne demandent pas ni l’aumône, ni la charité, ni l’action des services sociaux, qui de toute façon sont débordés. C’est dire : en fait je suis pauvre, je n’ai pas honte de l’être, ma situation naît d’un système qui s’appelle le capitalisme, qui a besoin de pauvres pour exister. Je ne suis pas une victime. Je ne suis pas diminué par ma pauvreté. Je suis un individu, je suis digne et en m’organisant avec d’autres individus je casse l’isolement d’où naît la faiblesse.
lemouvement.info – Vous étiez sur place au moment de l’évacuation par la police, le 11 mai dernier, comment cela c’est passé ?
Manu – En réalité, l’évacuation s’est déroulée en deux temps. Les policiers sont arrivés par en bas, par le hall et par le toit et les choses se sont passés dans le calme. Du coup, les 21 personnes qui étaient à l’intérieur ont été évacuées sans heurts, sans problèmes. Ces gens-là sont sortis, ils ont été placés au-delà des barrières anti-émeutes des CRS. Une fois tout le monde sorti, ils sont retournés sur la place de la Comédie où un certain nombre de gens, dont nous, les ont rejoints. C’est simplement des copains qui viennent de perdre leur maison, après une année d’activité et de vie et c’est dur et donc on est venus en soutien et pour dire que ça allait manquer à la ville. Et, à partir de là, on a été chassés, on peut dire que c’est une véritable chasse à l’homme. On s’est rassemblés sur la Comédie, on a été chargés à deux reprises par les CRS, qui même, s’ils n’ont pas fait de sommations, on se doutait que ce qu’ils voulaient c’était qu’on se disperse. La réalité, c’est qu’à la suite de ces deux charges, on s’est dispersés, on s’est retrouvés dans un certain nombre de groupes de 6 ou 7 personnes dans les rues de l’Écusson. Et, à partir de là, on a été pris en chasse par la police et par la BAC en particulier, qui nous a traqué dans la ville jusqu’à arrêter 31 personnes. On a été 31 personnes placés en garde à vue ou en vérification d’identité, emmenées au commissariat. C’est-à-dire la quasi totalité des personnes qui c’étaient rassemblées, malgré le fait qu’on s’était dispersé, sans aucun motifs. Cela se termine par une personne qui est condamnée à 6 mois de sursis et plusieurs centaines d’euros d’amendes pour avoir eu en main un sac dans lequel il y avait des fumigènes qui n’ont pas été utilisés. On s’est retrouvés dans une situation où on est arrivés au commissariat, car moi j’ai été interpellé pendant cette chasse à l’homme, où l’intégralité du commissariat a été mobilisée, le barreau avait été mobilisé. Moi, j’ai été interrogé par la brigadier-chef de la criminelle. Ça n’avait aucun sens. Il y avait des camions de pompiers pour les policiers blessés. On a fait de nous des monstres dangereux qui allaient violemment agresser les policiers. La réalité c’est qu’il y avait 20 personnes à l’intérieur, dont une grande majorité d’étudiants, de jeunes précaires. Une fois que la police est arrivée, ils ont dit : « bon, voilà, on va sortir ».