Madame la Présidente [Région, Carole Delga]
Mesdames, Messieurs les conseiller.e.s,
Lors de votre Assemblée Plénière du 16 Juillet 2020 vous allez examiner deux plans structurants et déterminants pour l’avenir de notre Région :
- Le Plan de Relance pour l’emploi
- L’acte 1 du plan de transformation et de développement – Green New Deal
Compte-tenu du caractère stratégique de ces plans, France Nature Environnement Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon souhaitent émettre quelques commentaires et recommandations concernant ces documents.
Dans une période où beaucoup d’espoirs sont nés de la crise du Covid19 pour un monde d’après plus juste, plus sain et plus écologique, des mutations profondes sont attendues, il faut donc penser une reprise verte et solidaire.
Selon l’ONU, dans un communiqué du jeudi 9 juillet 2020, la probabilité que la température mondiale dépasse de 1,5 °C les niveaux préindustriels pendant au moins une des cinq prochaines années est de 20%. La température moyenne du globe de chacune des années de la période 2020-2024 devrait être supérieure d’au moins 1 °C par rapport à l’ère préindustrielle, avec des pics probables dépassant les +1,5 °C. La question climatique devrait donc être l’objectif premier de tout plan de relance. L’effondrement de la biodiversité est par ailleurs une alerte supplémentaire sur la nécessité absolue de revoir notre modèle de développement, qui ne saurait se résumer à une fuite en avant vers toujours plus de productivisme, d’artificialisation et d’augmentation de notre empreinte écologique globale.
Le Gouvernement et le Parlement ont déjà acté un soutien financier direct de 20 milliards d’euros et des prêts garantis de 300 milliards d’euros aux entreprises, sans garanties environnementales ni contrôle démocratique suffisants sur la bonne utilisation de ces financements. L’Assemblée Nationale vient de voter en première lecture le troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR3). Celui-ci prévoit environ 45 milliards d’euros supplémentaires, sans contrainte environnementale réelle, pour venir au secours du tourisme, de l’automobile et de l’aéronautique.
Les Régions qui ont été en première ligne pour la gestion de la crise le seront aussi pour la reprise. Elles auront à mettre en œuvre des mesures concrètes, et assureront dans le cadre de leurs compétences propres les soutiens nécessaires aux entreprises, et l’allocation des fonds européens. C’est donc en grande partie sur elles, à l’occasion de ces plans de relance régionaux, que repose la responsabilité de mettre en œuvre le changement de société et la mutation profonde de l’économie nécessaires pour répondre aux enjeux écologiques et solidaires de ce monde d’après.
Nous interpellons le Conseil régional et sa Présidente en ce sens.
Dans le cadre du plan de relance, s‘il y a des « touches vertes » pour envisager quelques conversions d’emplois ou de formations vers des métiers verts, la particularité de ce plan est qu’il ne remet à aucun moment en question le modèle de société consumériste et n’adopte pas une approche résolument décarbonée de l’économie, en cautionnant implicitement la poursuite des activités des entreprises émettrices à l’identique.
La Région par son Plan Occitanie 2040 prend pourtant au sérieux les questions climatique et sociale, elle doit donc répondre aux enjeux économiques en orientant ses financements en cohérence avec ses engagements pour la transition climatique et écologique.
Or, le premier axe du plan de relance vise les activités les plus impactées par la crise mais qui dans leurs pratiques actuelles contribuent le plus aux émissions de gaz à effets de serre (tourisme, aéronautique, aérospatiale, BTP, ou encore nautisme et plaisance). A ce titre la création de nouveaux outils stratégiques (axe 3) n’est pas une réponse suffisante pour les mutations économiques attendues.
Les emplois d’aujourd’hui ne sont pas les emplois de demain, et la mutation doit être très rapide : la mise sous perfusion de certaines filières comme l’aérospatiale, l’aéronautique ou la construction automobile ne sont pas des pistes suffisantes pour changer l’économie régionale. Les promesses très incertaines sur l’arrivée de technologies dites « vertes » dans un délai de plusieurs décennies ne doivent pas servir de prétexte pour repousser encore les mutations nécessaires qui doivent être bien plus profondes et immédiates.
Les appels répétés à la croissance verte nous empêchent par ailleurs d’atteindre la sobriété nécessaire, comme l’a soulevé l’avis du CESER Occitanie sur la transition énergétique formulé en février 2020 : « il ne s’agit pas de remettre en question toutes les mesures qui ont été motivées par la théorie de la « croissance verte », certaines étant indispensables à la transition, mais de prendre conscience que la réduction de la politique environnementale à ce concept empêche de penser la réduction de la production et de la consommation. Le bureau de l’environnement européen insiste en particulier sur la nécessité de compléter les stratégies de recherche de l’efficacité (énergétique) par la recherche de la « suffisance », l’activité économique devant répondre à des besoins, et non être une fin. »
A ce titre, comme la Région envisage au titre de la relance de financer un opérateur de compensation régional, nous rappelons que l’adoption d’une démarche « Eviter-Réduire-Compenser » dans la planification régionale implique de placer l’évitement des impacts environnementaux en priorité dans toutes les décisions, en second lieu leur réduction, et la compensation en dernier lieu. En application de cette doctrine, il est prioritaire de mettre un terme aux financements publics néfastes au climat ou à la biodiversité.
S’il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin et plus vite dans l’ambition de transformation écologique régionale, cela ne peut évidemment se faire au détriment de la question sociale. La transformation écologique n’étant pas une option, il convient d’anticiper au mieux cette transformation en termes d’emplois. Or l’axe 2 du plan de relance portant la création de nouveaux dispositifs de formation des salariés et d’apprentissage pour l’insertion des jeunes reste faible et très imprécis sur ce que doivent être les formations qui permettront aux jeunes d’être utiles dans une nouvelle société, et aux adultes employés dans des filières menacées de se reconvertir vers de nouveaux métiers. Nous y voyons même des contradictions, entre les aides apportées à la promotion des métiers de la filière aéronautique auprès des jeunes, et les perspectives réelles de cette filière qui doivent être revues à la baisse.
Concernant les transports, nous saluons l’axe 4 (Plan de reconquête des usagers des transports collectifs) mais déplorons l’insuffisance de mesures pour développer les modes doux, qui comme l’a montré la crise du COVID19, présentent un potentiel bien plus important qu’imaginé.
Nous attendions également un travail plus formalisé de mise en cohérence du Plan de relance pour l’emploi et du Plan de transformation et de développement.
Il serait même pertinent de penser que le second aurait dû constituer le socle du premier.
Aussi nous recommandons :
- de décliner régionalement les recommandations du Réseau Action Climat et du mouvement France Nature Environnement, notamment l’écoconditionnalité des aides et le reporting contraignant des efforts pour décarboner les activités économiques,
- de privilégier le soutien des filières s’engageant dans la transition écologique, notamment à travers l’instauration « d’incitations vertes » dans les fonds de relance dont bénéficieront les sociétés et les entreprises,
- de prendre en compte l’avis de Février 2020 du CESER Occitanie voté à l’unanimité par son assemblée plénière : « La politique énergétique de la région Occitanie répond-elle aux urgences économique, sociale et écologique ? »,
- de placer la sobriété comme une priorité dans les actes du plan de transformation au même titre que le développement des énergies renouvelables : construire et lancer des appels à projet centrés sur la « sobriété », sensibiliser et former aux économies d’usage de l’énergie, intégrer la nécessité de modifier nos modes de vie, de moins consommer…
- d’intégrer de nouveaux indicateurs de suivi de la relance de l’emploi et de la transformation, qui n’aient plus comme unique boussole l’effet sur le produit intérieur brut, mais des indicateurs de réduction d’émissions, d’épanouissement humain…
- d’assurer une véritable participation citoyenne et de rendre impératives les recommandations de la future Convention Citoyenne Occitanie. France Nature Environnement se porte volontaire pour fournir des experts et membres de la société civile à même de contribuer au co-pilotage des travaux de cette instance. Un observatoire des propositions de la convention Régionale pourrait être mis en place dès la fin de ses travaux afin d’en suivre la bonne mise en œuvre et de communiquer sur la suite qui leur sera donnée.
Restant à votre disposition pour toute question relative à ce texte, nous vous prions d’agréer, Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les conseillers régionaux, notre respectueuse considération.
Le Président de FNE Languedoc-Roussillon
Le Président de FNE Midi-Pyrénées
Simon Popy Thierry de Noblens