Dans le cadre de la campagne des élections européennes et en tant que députée européenne écologiste, je suis venue soutenir les opposants au projet Cigéo qui est censé accueillir les déchets dits de haute activité (HA) et de moyenne activité à vie longue existants et à venir.
À Cigéo, les conteneurs hautement radioactifs seraient stockés dans 300 km de galeries creusées à 500 mètres en profondeur dans une couche géologique d’argile, sélectionnée pour sa relative stabilité. Le coût est estimé entre 25 et 35 milliards.
Depuis 2000, plusieurs millions d’euros sont versés chaque année aux deux départements en échange de leur hospitalité de la Haute-Marne et de la Meuse: 9 millions d’euros chacun jusqu’en 2006, puis 20 millions et aujourd’hui 30 millions. Soit au total, plus de 500 millions d’euros depuis 2000. Ils sont attribués aux deux groupements d’intérêts publics (GIP) créés pour mettre en œuvre des mesures d’accompagnement économique du laboratoire de Bure.
UN DÉNI DÉMOCRATIQUE ET ÉTHIQUE
Il ne s’agit pas seulement d’une question technique, mais aussi démocratique et éthique. Qu’on soit pour ou contre le nucléaire, les déchets qu’il génère sont une réalité physique qui doit être gérée avec un maximum de sécurité, de transparence et de débat démocratique. Une décision sur la gestion des déchets engagera un nombre de générations futures comme aucune autre décision n’a été amenée à le faire jusqu’à présent. Les acteurs qui prennent les décisions aujourd’hui ne seront sans doute même plus vivants au moment de leur application – et ils ne seront plus comptables des effets de ces choix, qui engagent donc les générations futures.
UNE INSÉCURITÉ GÉOLOGIQUE ET TECHNIQUE
Même si l’argile est connue pour ses qualités en matière d’imperméabilité, il est bien évident que les travaux de forage déstabiliseront cette couche argileuse. De plus, des épisodes sismiques ne sont pas totalement exclus. La stabilité historique de la zone n’est pas une preuve suffisante, du moins complètement satisfaisante. Enfin nous savons que les conteneurs et les galeries ont tendance à se déformer sous l’effet de la haute radioactivité qu’ils contiennent et des mouvements de la roche. Dans ces conditions, nul ne peut dire comment réagira la strate argileuse.
Dans son avis du 15 janvier 2018, l’ASN a formulé une « réserve » concernant les déchets bitumineux.
AUCUN SITE D’ENFOUISSEMENT EN PROFONDEUR N’EST FONCTIONNEL
Il y a une doctrine qui consiste à dire que le stockage géologique est la meilleure option, mais les projets connus mis en œuvre jusqu’à présent sont des échecs. Il n’existe encore aucun site de stockage de déchets hautement radioactifs qui soit fonctionnel.
Aux États-Unis, un site souterrain accueille depuis 1999, à 700 mètres de profondeur, des déchets nucléaires militaires de moyenne activité à vie longue. Le WIPP, Waste Isolation Pilot Plan, Carlsbad, Nouveau-Mexique (USA), était prévu pour préserver l’environnement de toute fuite pendant des centaines de milliers d’années. En février 2014, après moins de quinze ans de fonctionnement, une réaction chimique se produit à l’intérieur d’un seul fût de déchets et provoque la rupture de celui-ci, libérant du plutonium et de l’américium, substances radioactives particulièrement dangereuses. Cet accident, supposé ne jamais pouvoir se produire, coûtera deux milliards de dollars.
Heureusement, que cet accident est survenu alors que le site était encore ouvert et les déchets accessibles et récupérables. Que serait-il advenu si l’incendie s’était produit après fermeture définitive ? Selon certains experts : un Tchernobyl souterrain !
En Suède, la justice vient de rejeter ce 23 janvier 2018 le projet de stockage géologique, estimant que il y a beaucoup trop d’incertitudes sur la tenue à long-terme des conteneurs remplis de déchets qui seraient entreposés à tout jamais dans le stockage géologique tel qu’envisagé.
En Allemagne, l’enfouissement de déchets radioactifs dans une ancienne mine de sel à Asse s’est révélé être une catastrophe. Ce site doit faire face depuis plusieurs années à des infiltrations d’eau dans les parois de la saline. Le pays tente de faire machine arrière en retirant les 126 000 barils entreposés dans le site.
EN OPPOSITION AVEC L’ÉVOLUTION SCIENTIFIQUE
Les promoteurs du projet CIGEO/Bure doivent en tirer toutes les leçons ! Le confinement sous terre de milliers de colis de déchets radioactifs est une chimère politico-scientifique qui doit en rester là.
À Cigéo, toute intervention a posteriori serait de fait impossible.
La solution de cacher ce problème sous nos pieds n’a rien de rassurant, ni de fiable. Le choix du projet CIGEO est en fait court-termite : les autorités ont en effet besoin de nous faire croire qu’il existe une solution au stockage des déchets radioactifs, d’abord pour maintenir la fiction du nucléaire comme énergie soutenable, ensuite pour justifier son maintien en activité et sa part prépondérante (près de 80 %) dans le mix électrique français.
L’enfouissement représente de nombreux dangers : les risques d’incendie et d’explosion et donc de rejet de gaz radioactifs dans l’environnement, la contamination des eaux, la corrosion des conteneurs de stockage, etc.
LE PROJET CIGÉO NOUS EST IMPOSÉ
Toutes les options devraient être étudiées avant qu’une décision de principe ne soit prise. L’enfouissement des déchets nucléaires sous terre est la méthode la plus commode pour le lobby nucléaire car elle est la moins visible. En attendant, on tarde à expérimenter des alternatives comme d’autres options de stockage en subsurface ou surface.
L’ALTERNATIVE RÉVERSIBLE
L’option la moins dangereuse que je défends est l’option du stockage temporaire, en subsurface: les conteneurs sont en général stockés dans des galeries accessibles à tout moment, ce qui permet d’opérer un travail de surveillance continue et d’intervenir en cas de besoin.
Le gouvernement des Pays-Bas vient d’ailleurs ce 29 janvier 2018 de décider de reporter toute décision définitive à l’an 2100. Nous engageons des milliers de générations. Il est nécessaire de prendre le temps, d’étudier toutes les options envisageables et le devoir de mener un large débat de société autour de cet enjeu.
À BURE, EN SOUTIEN AUX LANCEURS D’ALERTE QUI DÉFENDENT L’INTÉRÊT GÉNÉRAL
En 2018, il a été interdit à des militants de manifester, circuler et de stationner. Ces restrictions de liberté sont choquantes. Se mobiliser contre un projet inutile et dangereux n’est pas un délit.
Pour détruire le mouvement de résistance vieux de 25 ans, il y a déjà eu plus d’une cinquantaine de procès en 2 ans. Des centaines de mois de sursis distribués. Près de 2 ans de prison ferme. 26 interdictions de territoire. 7 personnes interdites de se voir et rentrer en relation, et ce pour des années, dans le cadre d’un contrôle judiciaire dans une instruction pour « association de malfaiteurs ». Des milliers d’euros d’amende. Une vingtaine de perquisitions réalisées en Meuse, à Paris, en Isère. Une trentaine de gardes à vue – dont celle, le 20 juin 2018, de l’avocat Maître Étienne Ambroselli. Un escadron de gendarmes mobiles installé sur place depuis l’été 2017. Chaque jour, depuis plus d’un an, les habitant-e-s de Bure et autour sont suivis, fichés, filmés, et contrôlés, et parfois à plusieurs reprises en l’espace de quelques heures.
Qui bafoue le droit ? C’est le nucléaire qui est hors la loi !
Michèle RIVASI
Députée européenne EELV
Co-fondatrice de la CRIIRAD