Les sapeurs-pompiers du Gard se sont mis en grève lundi 10 décembre, jusqu’au 31 décembre inclus.

Leur grève s’articule autour de trois axes : un meilleur traitement des fonctionnaires, une hausse de leur pouvoir d’achat, et surtout (tiennent-ils à souligner,) un soutien entier aux gilets jaunes, et à la population en général qui les a toujours soutenus.

Entretien avec Patrice Cartagena, Secrétaire Départemental Adjoint du syndicat Sud des pompiers :

Il est rare de voir les soldats du feu se mettre en grève, quelles sont vos revendications ?

Nous avons trois axes prioritaires pour ce mouvement ; deux qui sont d’ordre professionnel, et plutôt une contestation nationale que départementale, car nous avons signé avec le département, des conventions, des protocoles d’accord ; et le troisième c’est un soutien aux gilets jaunes.

Le premier point, le métier, la qualité du service public ; je vais parler pour notre département, mais aussi pour beaucoup d’autres collègues d’autres départements ; à ce jour, nous arrivons à un point où il n’y a plus de service public de qualité.

Aujourd’hui, les seuls qui interviennent encore, aussi bien les professionnels que les volontaires, ce sont les sapeurs-pompiers.  Je m’explique aujourd’hui, il n’est pas rare qu’on nous appelle pour transporter une mamie pour l’accompagner passer une IRM, parce qu’il n’y a plus d’ambulances privées, parce qu’il n’y a plus de taxis agréés, et cela n’est en aucun cas la vocation des sapeurs-pompiers. Nous, nous sommes des personnels de l’urgence.

Comment en êtes-vous arrivés là ?

La problématique nationale vient de l’implication du Samu dans les missions qui lui sont à la base dévolues, mais qui ne les assume pas.  Pour être concret, tout ce qui est à domicile est fait par les pompiers et nos SDIS ne sont pas rémunérés pour cela. Le Samu maquille toujours cela en malaises alors que les trois quarts du temps, ce sont des transports de complaisance que nous réalisons. Mais lorsque nous sommes sur place, nous ne pouvons décemment pas dire aux personnes : « non, vous n’allez pas à l’hôpital, ce n’est pas notre boulot ». Vous comprendrez bien que déontologiquement parlant on ne veut pas le faire ; mais après les SDIS ne peuvent pas se faire rémunérer ce type de prestations puisque cela ne rentre pas dans le champ de notre métier.

Lorsqu’une ambulance privée est dépêchée sur place, l’état va payer, par contre quand ce sont les sapeurs-pompiers, non.  En fin d’année, le SAMU, néanmoins nous donne une enveloppe pour solde tous comptes annuellement, qui représentent que 20 % de ce qu’ils devraient nous payer. Grosso modo, chaque carence d’ambulance privée, c’est autour de 120 euros qui devraient être rémunérés, cela représente 200 000 euros par an, alors qu’ils devraient nous donner au minimum quatre fois plus, vu le nombre d’interventions que nous réalisons pour leur compte.

Mais on enlève aussi aux ambulances, et aux taxis le fait de pouvoir transporter les patients. Avec l’art. 80 qui transfère aux hôpitaux une enveloppe annuelle, et l’obligation de faire des appels d’offres. Est-ce cela qui met en péril les petites compagnies, ou les artisans taxis et ambulanciers ?

C’est là que réside la perversité, car les Agences Régionales de Santé ont fermé les robinets. Ce sont elles qui payent les frais de fonctionnement du Samu. En baissant les dotations, le Samu est à son tour contraint de baisser son activité, d’où nos interventions récurrentes.

Il en va de même pour les taxis et ambulances. On préfère leur enlever leur travail, et le faire faire, à d’autres. Eux ne pourront jamais se faire rembourser. Ce sont des coûts moindres pour l’ARS en particulier.

Nous, donc nous ne refusons pas de le faire puisque nous sommes un des derniers services publics sur le marché à l’heure actuelle. Ce que nous demandons juste, puisque nous les réalisons, que l’ARS rémunère les SDIS à hauteur de ce qu’elles leur doivent réellement afin que nous puissions recruter, augmenter les effectifs, qui nous permettent d’effectuer ces missions-là, en plus des missions d’urgence et les missions au feu. Je vais parler du département du Gard parce que je le connais bien, car quand vous avez quatre ambulances des pompiers sur Nîmes, qui font quatre « samuseries » comme on les appelle, c’est-à-dire des interventions à la demande du Samu qui sont maquillées, s’il y a un malaise cardiaque à deux cents mètres de la caserne, ce sont les ambulances des services de secours de Margueritte, de Saint-Gilles voire de Vergèze qui sont obligées d’intervenir. Ça ne peut plus durer comme cela.

À un moment, il faut que la population soit avertie ; les politiques dans le sens large du terme veulent faire croire que tout va bien, alors que c’est faux !!! Les effectifs diminuent dans certains départements jusqu’à 20 %, alors que le nombre d’interventions augmente de 20 % ; au final on ne peut pas tout faire, nous ne sommes que des hommes. Dans un futur proche, il est évident qu’il y aura de plus en plus de loupés, car lorsque vous enchaînez quinze interventions pour quinze pseudo-malaises, quand vous arrivez sur le seizième qui a vraiment un malaise, il y a de fortes chances que vous puissiez le prendre comme les quinze premiers petits, « allez on va l’emmener à l’hôpital » et là, le problème arrive.

Si nous comprenons bien, la baisse des dotations a globalement déstabilisé toute la chaîne de l’urgence médicale, et c’est sur vous que tout retombe ? 

En France, il y a une règle, quand un appel arrive chez les pompiers, le « permanencier » des pompiers, est obligé de le transférer au Samu qui doit dire si oui ou non, il envoie des secours.

(Sauf trois cas bien précis qui sont des interventions propres aux sapeurs-pompiers. Le premier si c’est un accident de la circulation, la seconde si on détecte une altération des trois fonctions vitales, ou une grosse hémorragie, là c’est du premier secours).

Maintenant je vais vous donner un dernier exemple sur la complexité de la situation. Le SAMU qui lui aussi est soumis à des coûts de fonctionnement va dire à ses permanenciers quand vous voyez que ce sont les pompiers qui appellent, vous ne répondez pas. Si au bout de dix fois que le téléphone sonne, et que le Samu n’a pas décroché, nous sommes dans l’obligation d’intervenir. Nous sommes un des seuls départements en France à faire cela.

Si par chance le « permanencier » des pompiers arrive à transmettre l’appel au Samu, pour un malaise hypoglycémique d’une personne diabétique connue, où l’on sait que le seul traitement possible est de re-sucrer les patients en leur faisant une perfusion, sauf que nous ne sommes pas habilités à le faire, nous intervenons quand même. Pourquoi font-ils cela ? Même si neuf fois sur dix, le patient reste à domicile, si une fois, il est emmené à l’hôpital, cela obligerait le médecin à brancarder, donc ils nous font intervenir.

Vous êtes des passionnés, vous aimez votre métier, on vous sent pourtant sur la corde raide ?

Les gouvernements successifs ont diabolisé tous les fonctionnaires auprès de la population, et maintenant on parle des fonctionnaires comme les gâtés de la République.

Nous l’avons bien vu lorsqu’il y a eu la grève des cheminots, et le bashing qui s’en est suivi sur leurs soi-disant avantages. Mais il faut savoir que notre seconde revendication concerne notre pouvoir d’achat.  Pour cela, je vais vous donner un chiffre. En dix ans nous avons été augmentés que deux fois 0,6 %.  Nous ne sommes pas mathématiciens, mais quand l’essence a pris 20 ou 30 %, la baguette de pain 30 %, sans compter l’inflation et nous que si peu, notre pouvoir d’achat a reculé.

Vous disiez en début d’entretien que vous aviez un message important à passer, quel est-il ?

Nous avons quelque chose que nous souhaitons mettre en avant et qui est hyper important pour nous, c’est que nous voulons soutenir la population.

On est tous citoyens avant d’être pompiers, et il y a 80 % qui soutiennent le mouvement des gilets jaune, et nous, nous sommes aussi le reflet de la société, et chez les pompiers on est 80 % à soutenir le mouvement.

Nous, la population nous a toujours soutenus, chaque année, chaque fois que les pompiers sont descendus dans la rue, chaque fois qu’on a demandé des effectifs en plus, tout le temps la population a été de notre côté.

Aujourd’hui, il est indécent, inconcevable que les sapeurs-pompiers qui ont la reconnaissance de la population ne les soutiennent pas.

L’an dernier, quand nous avons campé sur le feutre, tous les matins, même des gens très peu aisés venaient nous apporter des croissants, du café. Cela ne va pas se traduire par de grandes envolées, nous ne bloquerons pas les ronds-points, car nous avons des missions, mais nous sommes avec eux.

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