Pendant que le Mondial 2018 de football était gagné par la France, dans un interview à la chaîne CBS, diffusé dimanche 15 juillet, Donald Trump a désigné l’Union européenne comme le principal ennemi actuel des États-Unis ! Pour des raisons commerciales ! Le président américain a particulièrement fustigé l’Allemagne, et a aussi cité la Russie et la Chine comme ses ennemies. Les provocations de Donald Trump ne s’arrêtent pas. Quand est-ce que les Européens vont réagir ?
« L’Europe est notre principale ennemie », éclairage sur la situation plus particulière du Royaume-Uni britannique.
Le 23 juin 2016, 17 410 742 de Britanniques, soit 51,89% des votants, cochaient la case «Leave the European Union» sur le bulletin de référendum ; une décision qui eut des conséquences immédiates : chute de la Livre Sterling (passant de 1.48 contre le dollar US la veille du référendum à 1.29 aujourd’hui), une inflation qui a augmenté de 1,7 % et une perte d’environ 1,3% du PDB, soit une perte de pouvoir d’achat dans l’année d’environ 457€ par foyer fiscal. Par ailleurs, la décision des anti-européens a fait apparaître, ou plutôt a fait réapparaître, les tensions nationalistes en Écosse, et sectaires en Irlande du Nord où l’on s’interdit d’avoir une «frontière ferme» avec le voisin du sud qui reste dans l’UE… et en l’absence d’une frontière ferme pour une «province» d’un pays qui dans son ensemble quitte l’UE cela pose problème, et pourrait fort détruire le fragile assemblage d’une «nation composée de nations». Deux ans après l’émoi où en est-on dans ce pays qui par une petite majorité veut «s’isoler du continent» ?
Le monde des affaires menace de « décamper »
En cinq mots, une réponse simple : «ce n’est pas clair! ». Une certitude cependant : les options et les problématiques ont été plus ou moins cernées même si les solutions demeurent vagues. On sait que le maintien du libre échange des biens et des finances entre l’UE et le Royaume-Uni est souhaitable – seule une minorité des Brexiters «purs et durs» souhaitent tout rompre, et si possible tout de suite. Au-delà, pour eux, les citoyens européens ne seront plus automatiquement les bienvenus.
On sait pourtant que les échanges d’informations en matière de lutte anti-terroriste sont plus que souhaitables. On sait que le monde des affaires, de la City, des investisseurs étrangers – et pas seulement européens – ont mis le gouvernement en demeure et ils menacent de « décamper »… Le grand intérêt d’être au Royaume-Uni pour une entreprise japonaise (par exemple) résidait justement dans le fait que le pays représentait une belle porte d’entrée pour l’UE et qu’on y parlât… anglais. On sait que les universités craignent un contrecoup négatif, qui aurait nécessairement un impact sur les capacités de recherche d’un pays qui est second seulement après les États-Unis, pour le nombre de ses prix Nobels scientifiques. On sait aussi que la paix en Irlande du Nord, suite à l’accord historique signé le 2 décembre 1999, est fragilisée ; une situation qui stimule ceux qui rêvent à l’unification des deux Irlandes, chose qui ne se ferait pas sans heurts. On sait aussi que le mouvement indépendantiste écossais trépigne, espérant un deuxième référendum sur leur statut qui leur permettrait (peut-être) de larguer les amarres avec ceux du sud.
On sait aussi, et peut-être surtout, qu’on a beaucoup menti ces derniers mois… Entre les sommes fantasques qui devaient être versées au NHS (le système santé maladie de l’État Providence) et la «profusion» d’accords commerciaux qui remplaceraient «avantageusement» ceux perdus au sein de l’UE, on ne sait plus trop où donner de la tête. Et on peut dire avec certitude qu’un éventuel accord souhaité avec la Russie de Poutine est passablement compromis, suite aux mystérieuses attaques à l’arme chimique d’origine soviétique à Salisbury. Même la récente crise intra-gouvernementale qui a vu la démission des «poids lourds» du Brexit, le ministre en titre David Davis, chargé justement du dossier de la sortie de l’UE, et le ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson, le très ambitieux et volage rival de Mme May ne permet pas plus de clarté : selon certains, leurs départs aideraient la Première Ministre à trouver un accord décent avec Bruxelles, selon d’autres, ils la «plombent» encore plus. Allez savoir… Les récentes incartades verbales du président américain de passage dans le pays, selon lesquelles ce même Boris Johnson ferait un excellent Premier Ministre, à la place de Mme May et conseillant du coup à celle-ci de «poursuivre l’UE» en justice (chose qu’elle ne fera bien entendu pas) n’ont pas non plus aidé.
Tout cela a tout de même forcé la main de Theresa May ; face au Parlement, elle a pu mettre deux ou trois points en suspens, mais en maintenant l’essentiel. Ainsi, elle a martelé que le Royaume-Uni quittera la Politique agricole commune, de même qu’il sortira de la Politique commune de la pêche, se retirera de l’emprise de la Cour européenne de justice (tout en promettant d’introduire une bonne partie de ses directives dans la loi britannique) et, beaucoup plus significatif : elle fermera ses frontières à une certaine migration européenne (pour les non européens ce verrouillage est déjà en place) et tout aussi lourd de conséquences économiques. Mme May a confirmé que son pays sortira, aussi, de l’Union douanière, ce qui permettra aux Britanniques de : «négocier des accords commerciaux avec qui on veut». Bien entendu, personne ne sait avec précision, ce que l’on en pense à Bruxelles et dans les 27 autres capitales de l’Union.
Le vote anti-UE a été un vote «anti-immigrants»
Dans le même état d’esprit, personne ne sait ce qui se passe réellement dans la tête de Jeremy Corbyn, le chef de file de l’opposition Travailliste. Après une campagne plus que molle en faveur du «remain» avant le référendum, le leader Travailliste a d’abord insisté sur le fait que la décision «populaire» devait être respectée. Il a ensuite évolué, lentement, presque mal gré, vers une position plus souple ; en fin de compte, les partisans pro-européens dans le parti Travailliste l’auraient – et le conditionnel est de rigueur – convaincu du bien-fondé de maintenir le pays : et dans l’Union douanière, et dans la zone de libre-échange. Il faut dire que Corbyn s’inscrit dans la droite ligne de ces dirigeants traditionnellement europhobes. Au sein du parti, ceux qui en 1975 appelaient à voter «non» à l’entrée du Royaume-Uni, affirmaient : « l’Europe n’est qu’une construction bourgeoise, faite pour exploiter les travailleurs ». Cette vision de l’UE perdure et s’est même aggravée. Il y a peu de doute que Corbyn pense à sa base située notamment dans le nord-est, et le centre de l’Angleterre. Une base composée des perdants d’une industrialisation en déclin continu, suite à la fermeture des mines de charbon. Ces laissés pour compte d’une ancienne fierté ouvrière peuvent être amers, car de larges sections du pays post-industriel, comme dans le nord de la France, ont été ignorées par les politiciens de la capitale. Et, par un effet pervers dont on commence seulement à mesurer l’ampleur, les premiers fautifs, selon la compréhension de ces électeurs, sont «bien sûr» : les émigrés et principalement ces Roumains, Bulgares et autres «easterners» que ce Bruxelles de «bureaucrates non élus» a imposés, et que Londres «capitale des financiers et de l’Establishment» a laissé entrer. Appelons les choses comme elles sont (plusieurs sondages à l’appui) le vote anti-UE a été un vote «anti-immigrants» boosté par une génération de personnes âgées, nostalgiques des années cinquante qui fut une période de plein emploi et de croissance.
Si Corbyn se pense obligé de ménager sa base xénophobe, malgré les poussées de plus en plus évidentes d’une aile dite «Blairiste» (des fidèles réels, ou perçus comme tels, à l’ancien Premier Ministre que l’on dit à la droite du parti) qui est en faveur : soit d’un Brexit «mou» (le Royaume-Uni resterait à la fois dans la zone de libre-échange et dans l’Union douanière, avec pas mal d’autres acquis européens), soit d’un Brexit «pas du tout». Les seuls partis politiques qui restent résolument, et in extenso, pro-européens sont les Verts, les indépendantistes écossais (pour des raisons particulières liées à un sentiment indépendantiste) et les « Libéro-Démocrates », un parti qui a toujours eu du mal à s’imposer électoralement et qui vit péniblement les conséquences de son ancienne alliance tactique avec les Conservateurs de David Cameron lorsqu’ils sont entrés au gouvernement aux côtés de celui-ci. Ailleurs, dans les deux grands partis traditionnels, Conservateurs et Travaillistes, les ailes pro- et anti-européennes se crispent de plus en plus et suivent tant bien que mal les méandres des pourparlers avec Bruxelles qui, finalement, a tous les atouts en main. À l’intérieur du pays, les choses ne sont guère plus claires : Theresa May a été entravée par plusieurs votes dans les deux chambres parlementaires où on exige un droit de regard et un droit de décision sur le résultat final des négociations avec l’Union européenne. Une exigence que Mme May a jusqu’ici refusé d’accorder, car disait-elle, une telle disposition nuirait à sa capacité de bien négocier. Après pas mal de brouhahas et beaucoup de discours, on n’est pas beaucoup plus avancé, car le compromis selon lequel le Parlement aura un droit «significatif» dans la décision finale, reste plutôt vague, et ne sert que de compromis d’occasion.
Un deuxième référendum
And so what ? Ainsi, à quelques mois de la sortie définitive du Royaume-Uni, annoncée par Theresa May, pour le 29 mars 2019, toujours en plein «fog» bien british, de plus en plus de politiciens de tous bords, et d’associations civiles, agitant notamment comme justificatifs les «mensonges», et les contre-vérités avancés pendant la campagne référendaire de 2016, et frustrés par les tentatives désamorcées de faire intervenir le Parlement de façon plus effective dans le débat, appellent à un deuxième référendum. Auprès de la population en général, 58% de ceux ayant une opinion en la matière soutiendraient une telle initiative bien que si un tel référendum devait avoir lieu aujourd’hui, la mince majorité acquise par les partisans du «Leave» de juin 2016 ne serait que renversée : selon un sondage réalisé en janvier de cette année, seuls 51% de la population serait en faveur de rester en Europe. Un projet de loi, appelant à un deuxième référendum, devrait ainsi être présenté et débattu au Parlement cet automne. D’ici là, et même plus tard, la majorité des observateurs indépendants estiment que l’on continuera à naviguer à vue… à quelques encablures de ce continent bien dérangeant.