Autre perspective, autre réflexion, Christine Martineau, enseignante spécialisée en RASED auprès d’élèves en difficulté, mère d’un jeune adulte autiste écrit au Président Emmanuel Macron. Dans un contexte Covid-19, où les conditions de sortie pour les personnes en situation de handicap et leur accompagnant sont désormais assouplies. Christine Martineau pointe selon elle : la « méconnaissance » et la « maladresse » du chef de l’État.
Bonjour Mr Le Président,
Je viens comme chaque matin de cette période de confinement chercher les informations pour voir comment se porte le monde. Aujourd’hui, journée de l’autisme et je tombe sur votre discours qui va heurter bon nombre de familles tant votre méconnaissance et/ou votre maladresse sont choquantes. Mais de qui parlez-vous ? « De personnes qui ne peuvent aller travailler, étudier, voir chaque jour les personnes habituelles » : vous ne pouvez pas laisser croire aux auditeurs que les autistes font des études, ont un travail et des amis. La plupart ne sont pas scolarisés, ne travaillent pas et ne voient pas d’amis, c’est cela Mr Macron la vie réelle d’un autiste français.
Vous leur demandez de réduire leurs contacts : mais ils n’en ont pas, sinon leur famille, seuls repères, aidants familiaux qui sont certainement proches d’un burn out au moment où je vous parle. Ils ne vont voir personne et généralement personne ne veut aller les voir. Pour tout vous dire, je pense que le confinement n’est ni plus ni moins angoissant : dans leur bulle familiale, ils trouvent ce que la société ne peut leur apporter surtout si cette société ne leur dit que des mensonges, des promesses, avec une langue de bois de plus en plus relayée dans les médias dont vous vous servez bien. Pour reprendre Mr Gepner (psychiatre) les autistes ont besoin de ralentir le monde extérieur pour calmer leur monde intérieur : et bien c’est ce qui se passe actuellement et peut-être les neurotypiques en ont-ils besoin aussi ?
Le monde entier vit dans l’urgence, l’immédiateté, le bruit alors retrouver le calme et la sérénité certes dans un contexte très difficile est sans doute quelque chose de nouveau, de compliqué ou d’intéressant selon chacun. Les autistes sont vulnérables, mais ont surtout besoin d’être acceptés et de trouver une place dans la société : alors est-ce que ça vaut le coup de sortir du confinement ? » Oui, on va retrouver notre vie d’avant » dites-vous, mais si elle est pareille pour eux, quel intérêt ? Ce que nous voulons c’est une autre vie pour tous, et nous avons besoin de silence, alors commencez par vous taire, pour nous laisser la capacité de penser, de penser notre vie comme nous avons envie de la reprendre. Cette période d’isolement, que l’on pourrait associer à un sentiment d’impuissance et d’abandon peut être une chance de reprendre le contrôle de nos vies : ce temps va modifier nos pensées et nous ramener à nos besoins essentiels que les dirigeants de tous les pays ont malmenés.
Qu’avez-vous fait de nous ? Des êtres privés d’actions, de liens et de culture. Aucune place pour les plus vulnérables: on reconnait le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite les plus faibles (et pour Gandhi, à la manière dont il traite les animaux). Ne nous laissons pas happer par ces promesses d’être sauvés par cette nouvelle religion des technologies modernes qui sont aussi dangereuses que ce virus. Notre vraie vie est dans la nature, dans notre rapport à elle, la manière dont elle nous accueille chaque jour : reconnectons nous à elle, ouvrons nos fenêtres, nos oreilles, respirons intensément et regardons au loin l’horizon : le chemin est long, allons y ensemble, autiste ou pas, tous différents, mais en marche main dans la main.
Oui, j’ai beaucoup utilisé le mot vie, car c’est vers elle qu’il faut aller et que vont chaque jour toutes les personnes qui prennent soin de nous, et qui auront besoin de nous pour évacuer les traces que laissera cette triste épreuve, car elles auront combattu, pas contre une guerre, mais contre la folie du monde.
Voilà, je vous laisse cette réflexion qui est la mienne en tant que citoyenne du monde et mes convictions sont sincères et profondes pour que le monde d’en bas ne soit pas piétiné par le monde d’en haut : nous devons nous en sortir. Merci.
Christine Martineau
Une lettre en écho au message d’Emmanuel Macron pour les personnes qui vivent avec l’autisme.