Christelle Bernard Nuez, artiste peintre très prolifique, bien connue des Nîmois, exerce en parallèle une profession tout à fait particulière. Rencontre avec celle qui décrit son métier comme « le lieu de la liberté parfaite ». Entretien
Christelle, vous êtes art-thérapeute, pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste cette profession.
L’art-thérapie est une méthode pour aider des personnes en difficulté à exprimer des choses qu’elles n’arriveraient pas à exprimer par la parole, en utilisant le potentiel d’expression artistique et la créativité à des fins psychothérapeutiques, ou de développement personnel.
Pour cela, on utilise divers supports artistiques. Pour ma part, j’utilise la peinture, le dessin, l’encre, le pastel ; mais on peut aussi se servir de la terre, la photo, l’écriture, etc. Ce ou ces supports vont aider les gens à exprimer des choses qui normalement sont oralisées.
Ce n’est pas une thérapie contemporaine, bien au contraire puisque des premiers tableaux sont attestés dès le XVe siècle au Vatican, des tableaux grotesques pour contrer la mélancolie.
Ensuite, Freud s’y intéressera et sera le socle intellectuel de l’art-thérapie. Sa fille Anna, quant à elle, consacrera un essai sur cette thérapie par les arts.
Puis le sculpteur Dubuffet découvre des productions réalisées par des personnes internées en hôpital psychiatrique, à partir de ce moment, il se passionne pour le sujet et appelle ce courant l’art brut dans les années quarante.
Les peintres surréalistes et en particulier André Breton se sont intéressés à la psychanalyse et il créera avec Dubuffet une association en 1948, la compagnie de l’art brut.
Ceci contribue à la reconnaissance d’un art voulu « hors les normes » (pour reprendre leur expression), c’est-à-dire en dehors des normes académiques et des circuits habituels de l’art, ainsi que de liens entre création artistique et expression de l’inconscient.
C’est un métier peu commun, comment s’est-il imposé à vous ?
À l’heure actuelle, je travaille en tant que profession libérale. Éducatrice spécialisée en formation initiale, j’ai longtemps dirigé des ateliers peinture avec des enfants qui avaient des troubles du comportement, des adolescents en difficultés, autisme, etc.
Au départ j’ai animé ces ateliers peinture parce qu’on me l’a demandé, et comme j’avais un attrait pour la peinture, le dessin, j’ai tout de suite accepté. Je me suis rendu compte très vite que cet espace-là était un « lieu d’expression » ; bien sûr par la production qui était réalisée sur le papier, mais aussi tout ce qui pouvait se passer dans ce cadre-là, à savoir des échanges. Et je me suis demandé pourquoi ces enfants qui étaient en très grande difficulté pour parler de problèmes très graves, très intrusifs réussissaient à s’ouvrir dans ces ateliers ? Parce que l’on était installés tous autour d’une table, qu’il y avait de la musique ; on utilisait la peinture qui a un côté un peu ludique, et surtout l’enfant n’était pas face à un psy derrière une table qui demande « comment cela se passe chez toi ». Là on est libre, ce lieu artistique, c’est le lieu de la liberté parfaite.
Les enfants dont je m’occupais choisissaient un support, je dessinais, et eux peignaient. Ensuite, nous exposions leurs créations, donc il y avait un avis un regard sur leurs travaux. Les familles étaient contentes, c’était affiché puis offert pour décorer les chambres – tous ces travaux avaient une histoire -.
Ce sont ces enfants qui m’ont amenée à la peinture. Un jour, on travaillait sur les autoportraits et notamment l’autoportrait de Vincent Van Gogh et une enseignante est entrée dans l’atelier. Cette professeure des écoles avait fait histoire de l’art, et elle me demande si je peins. Je lui réponds que non, enfin qu’avec les enfants, et là de manière théorique, elle décrit mon travail avec enthousiasme.
Ravie, j’ai commencé à faire mon premier tableau, sur la tauromachie, et ce tableau a été très apprécié ; je l’ai vendu très vite.
Petit à petit je me suis lancée comme cela, et j’en ai fait d’autres et l’aventure a commencé en 2012. En plus d’être art-thérapeute, je suis devenue artiste peintre.
J’ai continué à travailler avec les enfants et j’avais l’idée chaque année de faire exposer les enfants et aussi de demander à un peintre nîmois de venir dans l’établissement pour parler de sa technique et peindre avec les enfants. On a partagé ces instants, et j’ai pu exposer dans plusieurs endroits dont au W, d’Alain Moula.
Parallèlement, voyant que ces travaux aboutissaient à rendre heureux les enfants et leurs familles, j’ai décidé de me former à nouveau. Je suis retournée à la fac Vauban à Nîmes où j’ai passé un DU « arts, créativité, pratique de soins, pratiques éducatives ».
Avec ce diplôme, je me suis dit que je pourrais proposer ces activités chez d’autres prestataires, mais aussi à des particuliers. J’ai eu un cabinet pendant trois ans, maintenant, j’ai opté que pour les domiciles.
J’arrive chez la personne avec tout mon matériel et je reste entre une heure et une heure et quart et quand je repars, la personne à son tableau, son œuvre.
Dans quel cadre travaillez-vous ? Est-ce une méthode de soins remboursée ?
L’art-thérapie est méconnue en France, même si l’on voit de plus en plus les effets, surtout chez ces enfants qui sont en grandes difficultés, en échec scolaire, en échec relationnel, en échec de vie pour résumer. Ce qui est bien avec la peinture, c’est qu’il n’y a pas besoin d’avoir fait les beaux-arts, de savoir dessiner, il suffit de ressentir, d’aimer ce support et donc on va exprimer des choses que je vais plus ou moins diriger selon la situation et ce qui va se produire là, c’est l’instant du moment. On va exprimer à l’instant T, un sentiment, une émotion, une rencontre, un rêve, un souvenir et à aucun moment, un jugement ne va être porté dessus ; mais on va amener la personne à parler dessus, de ce qu’elle a réalisé. C’est elle-même qui va pouvoir parler de son travail pourquoi elle a utilisé ces couleurs, pourquoi elle a utilisé que sur le bas de la page ou au contraire elle a utilisé la page entière et donc moi je vais susciter cette parole, mais c’est ce support qui va m’aider et la personne est vraiment intéressée parce qu’elle a produit ; et c’est elle qui va apporter des solutions.
Il faut savoir qu’au Canada, l’art-thérapie est proposée comme un support thérapeutique dans les hôpitaux psychiatriques et totalement remboursée.
En France, on est encore un peu frileux avec ces pratiques thérapeutiques. Mais rien n’est jamais perdu !!!