Par Jean-Pierre Cottet, journaliste, producteur. Auparavant : directeur de l’antenne et des programmes de France 3, directeur général chargé de l’antenne de France 2, directeur général de la Cinquième puis de France 5.


La vie est complexe et nos cerveaux sont étroits. Le temps, l’espace, les mécanismes de civilisation, les phénomènes sociologiques de masse sont difficiles à penser. Face à ces profondeurs abyssales et obscures, la plupart des gens ne voient pas plus loin que le bout de leurs chaussures et ont des mémoires de poissons rouges, j’en fais partie.

Cependant au terme d’une vie professionnelle agitée et en permanence secouée par un besoin maladif de comprendre, j’ai acquis un savoir-faire dans les médias et devant l’obscurantisme de certains propos, il m’arrive souvent de m’indigner en silence. Oui, en silence, car je ne ferai jamais assez de bruit pour être entendu. Je suis horripilé par les sentences verticales, les jugements à l’emporte-pièce, les avis rédhibitoires.

La nouvelle génération politique court un danger : celui des certitudes et de l’arrogance, car il ne suffit pas d’être jeune pour être moderne et inventif, je pense même que la créativité vient avec le temps et la culture, mais je m’égare, je veux en venir à mon irritation du jour. Elle monte comme des brûlures d’estomac du plus profond de mon ventre et il faut donc que je l’évacue.

Je vais parler de télévision, c’est mon sujet. Je vois arriver la mise à mort du service public, celui qui d’après Macron est la « Honte de la France ». Je passe le rappel des journalistes morts dans l’exercice de leur métier pour informer par la voix du service public ou les milliers de techniciens, d’auteurs, d’artistes qui en vivent et qui donnent le meilleur. Il arrive à tout le monde de dire des bêtises, le président des Français a lâché une bourde. Ce ne serait pas grave, si au-delà de l’excès de langage ça ne révélait pas un profond mépris pour cette institution qu’est la télévision publique. La rumeur veut que globalement la télévision soit morte, Internet est là et le média télévisuel serait devenu une vieille lune électronique qui est de moins en moins regardée et donc de moins en moins utile. D’ailleurs disent ses pourfendeurs : « les jeunes ne la regardent plus, c’est un média de vieux qui bientôt accompagnera les mourants dans les hospices ». Pourquoi donc dépenser 2,8 milliards d’euros alors que les hôpitaux sont sous-équipés, que la police manque de munitions et que l’éducation nationale est exsangue ? Les pitreries de Nagui ne justifient pas un tel investissement ! Ce sont des propos de comptoir, mais ils ont quitté les bistrots pour courir les ministères, convaincus par ces banalités superficielles, l’État prépare la compression césarienne des chaînes publiques.

Je veux tordre le cou à deux idées particulièrement pernicieuses. La première concerne la consommation de la télévision : elle ne baisse pas et ses images font également le bonheur des réseaux numériques. La deuxième est beaucoup plus subtile et nécessite une intelligence minimale : le public de la télévision vieillit, la moyenne d’âge des téléspectateurs frôle les 60 ans. Elle n’aurait donc plus d’utilité sociale, car ce sont les jeunes qui sont l’avenir, ce sont eux qui doivent aujourd’hui être formés, informés et cultivés. Ce raisonnement simpliste ignore la complexité des mécanismes idéologiques et les phénomènes de relais. Pour que les jeunes soient nourris, il est nécessaire d’agir sur le premier cercle familial. Les « vieux » ont un rôle majeur dans une société qui perd ses repères. Informer, former, cultiver des parents et des grands-parents, c’est apporter des armes culturelles dans la famille qui demeure la principale courroie de transmission. En parlant aux « vieux » la télévision parle à ceux qui parlent aux jeunes. Une société est ainsi faite. La télévision est le griot de notre civilisation, elle remplit cette fonction de transmission orale dans un monde qui ne lit pas.

Pour illustrer mon propos, je veux donner l’exemple d’une initiative que j’ai prise sur France 5, il y a maintenant plus de 15 ans : l’état avait confié à cette chaîne, entre autres, la mission de s’adresser aux plus petits. Mes prédécesseurs avaient alors décidé de programmer des dessins animés pour contribuer à leur éveil. L’initiative est certes vertueuse, mais un peu naïve. J’ai pensé qu’il valait mieux s’adresser aux jeunes mères qui élèvent ces enfants pour leur donner toutes les informations et le savoir qui leur permet d’assumer leur tâche. En lieu et place des dessins animés, j’ai créé et programmé les Maternelles. Depuis cette date tous les jours des pédiatres, des parents, des chercheurs, des spécialistes en tout genre se relaient pour transmettre leur savoir et leurs conseils. Combien de milliers, voire de millions de mères en 15 ans en ont tiré des bénéfices.

La télévision doit donc parler à ceux qui parlent aux jeunes, sinon elle est condamnée pour les attirer à programmer des émissions racoleuses et putassières qui attireront les ados et les jeunes adultes, comme une crotte attire les mouches… Hanouna fait ça très bien et c’est vrai qu’il n’y a pas besoin de la télévision publique pour faire ce job. Je suis en colère. Les contradictions se résolvent, mais il faut être capable de faire ce que certains intellectuels appellent un détour théorique.

Messieurs et mesdames du gouvernement, faites donc un détour, vous aurez des chances de penser juste.

 

Jean-Pierre Cottet
Journaliste, producteur
auparavant :
directeur de l’antenne et des programmes de France 3
directeur général chargé de l’antenne de France 2
directeur général de la Cinquième puis de France 5

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