Le livre sensation, de ce début d’année, « Fire and Fury » traduit en français « Le Feu et la Fureur », du journaliste Michael Wolff, sorti aux États-Unis le 5 janvier a bénéficié d’une traduction express pour sortir en France le 22 février. Le lancement de ce livre a donné lieu à une polémique très importante aux États-Unis, Donald Trump lui-même exprimant, dans des tweets dont il a le secret, son souhait de le voir interdire.
Dans un pays où la liberté d’expression absolue des journalistes est une liberté fondamentale préservée par le Premier Amendement de la Constitution, l’importante émotion suscitée par ces commentaires inconsidérés a contribué à faire de « Fire and Fury » un succès de librairie remarquable.
Trump, un « enfant » égocentrique et cruel
La violence et l’imbécilité de la réaction de Donald Trump sont d’ailleurs représentatives du portrait que Michael Wolff dessine, en creux, du personnage. Il apparaît page après page, comme un enfant égocentrique, cruel et dépourvu de toute autre culture que celle transmise par les médias télévisuels de masse américains, et qui s’est vu projeter dans le corps d’un adulte aux commandes de l’exécutif de la première puissance mondiale. Pourtant, le livre n’est pas consacré à une étude de la personnalité de Donald Trump, mais plutôt à un travail placé à la confluence de l’analyse politique poussée et d’une compilation de 300 pages de ragots dignes de la rubrique la « Mare aux canards » du Canard Enchaîné. Il décrit par le menu le fonctionnement, ou plutôt, les dysfonctionnements de la Maison-Blanche durant les premiers mois de la présidence Trump.
Wolff, qui affirme avoir passé 7 mois dans la Maison-Blanche, y distingue trois camps.

L’un, autour du Chief of Staff (rôle correspondant au Secrétaire Général de l’Élysée associé à un statut de Directeur pour une large part de la fonction publique fédérale) Reince Priebus, représente la machine politique républicaine traditionnelle. Priebus tentera, avec succès, de rapprocher Trump des parlementaires républicains, mais il perdra l’essentiel son influence après la tentative désastreuse de supprimer l’Obamacare. La suite du parcours de Priebus à la Maison-Blanche est une longue histoire de brimades et de paris sur la date de son départ, qui interviendra finalement le 28 juillet 2017 suite à un imbroglio particulièrement ridicule impliquant un certain Scaramucci (ça ne s’invente pas) pour obtenir la place de Directeur de la Communication de la Maison-Blanche. Ce dernier la perdra, au bout du temps record de 10 jours, après avoir commis une interview ou il injuriera avec violence tous les autres acteurs de la Maison-Blanche.
Trump gère la Maison-Blanche comme ses affaires :
la famille avant tout

Le second camp est celui de la famille du président. Dirigé par sa fille Ivanka et son gendre Jared Kushner, il tient son influence de la propension de Trump à gérer la Maison-Blanche comme il gérait ses affaires : la famille avant tout. Wolff se montre sévère dans sa critique du manque d’expérience politique d’Ivanka et de Jared. En particulier, ce manque d’expérience les conduit à des erreurs politiques considérables dans la gestion de l’affaire de l’ingérence russe dans la campagne présidentielle. Ils seraient à l’origine de la décision de « virer » le directeur du FBI, espérant ainsi naïvement calmer l’enquête, mais ne parvenant qu’à précipiter la désignation d’un Procureur spécial, bien plus dangereux pour Trump vu les pouvoirs étendus dont celui-ci dispose. Au-delà du tableau des erreurs politiques de la First Family, il faut noter que Wolff définit leur clan comme étant celui des « Goldman Sachs democrats », c’est à dire d’une droite libérale proche de celle qui est aujourd’hui au pouvoir en France et qui jouit, contrairement aux apparences, d’une réelle influence dans la Maison-Blanche de Trump.
Steve Bannon, un mégalomane misanthrope

Le troisième camp, dont l’élimination politique au tournant de l’automne 2017 marque la fin du livre, est représenté et dirigé par Steve Bannon. L’homme de médias a pris un ascendant certain sur Trump sur la fin de la campagne électorale présidentielle, en se montrant le seul à miser réellement sur la victoire de Trump, alors que tout le monde, Trump compris, se préparait à empocher les bénéfices professionnels et économiques d’une défaite politique qui paraissait certaine. Bannon, jusqu’à la parution de « Fire and Fury » début janvier, était la voix la plus connue et le principal dirigeant de Breitbart News, un média d’extrême droite qu’on pourrait situer quelque part entre Causeur et Fdesouche en France. Homme politique « national populiste », dont les idées résonnent avec celles d’une Marine Le Pen ou d’un Florian Philippot en France, mais en plus radical encore. Il est présenté comme l’une des personnes les plus sincèrement engagées dans la réussite de la Présidence Donald Trump et comme un homme doté d’une certaine intégrité. En revanche, il est également dépeint comme un mégalomane misanthrope à la limite du nihilisme, méchant et colérique et dont l’arrogance finira par causer sa perte. Michael Wolff a d’ailleurs pris le soin de lui consacrer son épilogue, en détaillant ses ambitions démesurées, allant jusqu’à essuyer le rêve de représenter un courant fascisant ayant pris le contrôle du parti républicain aux élections présidentielles de 2020.
Wolff fait le détail des commentaires injurieux et méprisants qu’il adresse à tous les autres acteurs du drame (ou de la farce, dur à dire) qu’est la présidence Trump. Ceci, associé à son échec à faire élire son candidat au Sénat dans l’un des Etats les plus à droite des USA, l’Alabama, donnera le prétexte à ses soutiens pour le lâcher politiquement et financièrement. On pourra remercier Michael Wolff pour son rôle dans cette chute d’un fasciste en devenir.
Les rednecks continueront à soutenir Trump, même si : « il tuait quelqu’un de sang-froid sur la 5e avenue à New York »
Quant à Donald Trump lui-même, on pourra lire un peu partout des commentaires mi-amusés, mi-terrifiés sur l’individu, sa superficialité, son caractère d’enfant gâté et son incompétence manifeste à jouer son rôle de président des États-Unis. Mais deux points méritent d’être mis en lumière.
Le premier : le livre pointe clairement comment Trump représente exactement ce que 15 à 20 % des adultes américains ont voulu envoyer à la Maison-Blanche. C’est-à-dire un homme totalement extérieur et étranger, aux jeux de pouvoir et d’influence qui marquent la vie politique américaine au niveau fédéral. Ce qui explique la sensation ressentie largement que les alternances successives maintiennent le même ordre à la tête des affaires du pays.
Comme Trump le sait lui-même, ces 15 à 20 % de rednecks (beaufs de la campagne), de chrétiens radicaux et millénaristes et de vrais fascistes continueront à le soutenir, même si : « il tuait quelqu’un de sang-froid sur la 5e avenue à New York », selon les mots qui lui sont attribués. Il ne faut donc pas l’enterrer trop vite ; si l’establishment démocrate parvient à imposer à nouveau des candidatures représentant ce consensus bipartisan, l’on risque de constater comme en 2016 que le rejet de ce système politique s’exprime aussi par une participation très basse et un refus de voter pour le moindre mal.
Ceci donne des responsabilités importantes à tout le mouvement progressiste qui bouillonne aux États-Unis et qui s’oppose souvent autant en pratique à Trump et à ce qu’il représente de rance et de dangereux qu’au reste de l’ordre politique en place, qui tue les noirs et les met en prison, qui maintient des millions de travailleurs dans la pauvreté, qui asphyxie la jeunesse avec des prêts étudiants démesurés et tant d’autres choses encore.
Deuxième point : peut-on réellement dire que Donald Trump est plus incompétent que ne l’était George W. Bush ? Le livre ne permet certes pas de trancher la question, mais souvenons-nous de la bêtise et de l’inculture de Bush fils et de sa complète méconnaissance des dossiers sur lesquels il s’exprimait. En revanche, celui-ci représentait à la présidence des États-Unis, un courant politique cohérent et puissant, le néoconservatisme, qui a maîtrisé durant sa présidence, tous les aspects du gouvernement fédéral américain. Ce que Michael Wolff nous indique, par contraste, c’est l’incapacité totale du camp politique conservateur à entourer le Président Trump d’une équipe capable de porter leurs positions politiques.
Finalement, « Le Feu et la Fureur » est la chronique de la faillite politique d’un establishment conservateur qui ouvre la voie, derrière Donald Trump, à une extrême droite racialiste et violente qui compte bien prendre sa part au malheur du monde, et à la crise qui agite les États-Unis depuis au moins la crise financière de 2008.